Un coin de plage



"Je réponds ordinairement à ceux qui me demandent raison de mes voyages : Que je sais bien ce que je fuis, mais non pas ce que je cherche."

Montaigne, essais.

Je rêvais d'un coin de sable, du soleil, une eau tiède, et surtout pas une foule de gens vautrés alentour, genre des parasols partout, des blaireaux qui jouent au ballon, bref une plage modèle courant. Peu d'options me restaient: soit rester planté dans l'humus au milieu des choses qui rampent, dans l'ombre de la feuillée, soit me trouver un endroit ensoleillé mais désert. En fait, cela n'a pas été trop difficile, connaissant l'aversion de mes semblables pour la jungle et ses bestioles, il m'a suffi de traverser un morceau de forêt et de me perdre un peu, pour trouver un bout de plage tranquille... La seule chose qui me chiffonne, c'est qu'un jour ou l'autre, Ils le trouveront cet endroit, comme les autres, que j'ai cru naïvement pouvoir conserver pour mes yeux seulement... 
Je suis égoïste, direz-vous, oui, sans aucun doute, et farouchement. Je ne peux faire confiance à personne, seulement les purs, les vrais amoureux de la nature, les respectueux, exit les groupes, les grappes, qui s'agglomèrent comme des sangsues, ceux qui ne peuvent rien voir, livrés sans les options. Moi, j'aime d'amour, voyez-vous, le vrai, sans partage, jaloux et tout...

Je ne suis pas vraiment un amateur de plages, je sais, chez nous, le synonyme du paradis, c'est les plages tropicales. J'aime bien, je trouve ça joli et même apaisant, les cocotiers et tout le fantasme qui va avec. Mais vraiment, le sable plus la chaleur, au bout d'un moment, je sombre dans l'ennui. De toute manière le paradis n'existe pas, ce n'est que le rêve inaccessible d'un endroit parfait avec des gens parfaits, une vision idéale qui se cogne au réel. mais une fois que vous savez ça, alors vous pouvez en trouver plein, des paradis...
N'empêche que je suis presque normal, donc parfois, il me vient l'envie de lézarder sur le sable et de me tremper dans l'eau tiède mais comme ce n'est pas le paradis, il y à les "sandflies", les horribles mouches piqueuses, minuscules et sournoises. Je prolonge cet intéressant exercice une heure ou deux et cela devient rapidement lassant, même si je suis seul sur cette bande de sable, et puis, qui vient sur cette île pour la plage...
Une dizaine d'aigle-pêcheurs tournent au-dessus de la baie plongent et remontent. L'eau est parsemée de petits corps de poissons scintillants, abandonnés sans doute par des pêcheurs. Trop petits pour être vendus, ils les ont jetés à l'eau, déjà morts, buffet à volonté pour les rapaces aux ailes couleur de rouille. La plage n'est que pour moi, égoïste plaisir, je peux bien être nu, qui s'en soucie? Le soleil me baigne autant que l'eau, derrière moi, gémit et tremble, la société des arbres, le bruit des feuilles géantes qui tombent, me fait sursauter avec leur ombre de choses vivantes. Des insectes luisants bourdonnent autour de fleurs qui ne ressemblent à rien. Un Bernard-l'hermite enjoué et audacieux se lance à l'assaut de mes chaussures abandonnées, je tente un dialogue qui n'aboutis pas.
Curieusement, c'est les yeux fermés que je sens mieux les choses, que j'apprivoise l'univers, que je le respire mieux. Je tente le tutoiement: bonjour Univers, moi c'est Jipe, ça roule? Mais je suis sans doute trop hardi, il ne réponds rien, en plus je crame au soleil, il est temps de faire marche arrière. Je mesure le trésor qu'est cette plage déserte, juste hantée par les singes, les varans et les cochons sauvages dont je vois les traces, imprimées dans le sable humide.
Au retour, je pars sur mes propres pas et puis je les oublie, vraiment, pourquoi suivre une voie que je connais? je prends le chemin de nulle part, je dois sortir ma machette, les sentiers impénétrables ne le sont pas tant que ça finalement, il faut juste être persévérant, vraiment persévérant. Tu cherches la bagarre avec le vivant, homme stupide? t'as perdu d'avance. C'est vrai je me suis perdu, mais je l'ai fait exprès, il me reste quelques heures pour retrouver mon chemin avant que la nuit ne vienne. Je n'ai pas peur, je pourrais me coucher là, comme une souche rongée par la vermine, attendre de me diluer dans le vivant...Mais non, c'est une licence poétique, ça doit faire mal de se faire grignoter par les bestioles, j'en ai déjà eu un avant goût douloureux quand j'ai oublié de me protéger le cou avec mon vieux bandana de l'armée. Mais en passant sous une branche, quelque chose est tombé dans le col de mon T-shirt, je n'ai jamais su quoi, des trucs avec ou sans pattes, chenille ou fourmis, mais ça gratte, mon dos est constellé de piqûres.
En fait, avec l'aide de ma boussole, je retrouve la route après une marche erratique en zigzag entre les fourrés d'épineux, elle apparaît derrière les arbres comme un ruban  lumineux, l'empire du soleil après celui de la pénombre. Je suis un peu déçu d'avoir retrouvé mon chemin trop facilement, mais j'aurais eu la trouille si je m'étais vraiment perdu, serais-je idiot ou un peu maso? les deux, sûrement.






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