L'arbre sorcier

"Ceux qui rêvent éveillés ont conscience de mille choses qui échappent à ceux qui ne rêvent qu’endormis."
Edgar Allan Poe

J'aime les arbres, vraiment, comme les êtres vivants qu'ils sont, nul ne peut l'ignorer, j'en parle souvent... Mais au fil du temps, j'ai développé un intérêt tout particulier pour une espèce particulière: les figuiers étrangleurs. Ces arbres sont du genre ficus, bien sûr ils sont tropicaux comme le fameux Banian et leur principale originalité est qu'ils poussent du haut vers le bas. Ils se développent en mode "épiphyte", c'est à dire qu'ils ne sont pas parasitaires, leurs graines déposées par les oiseaux ou d'autres animaux frugivores( singes, chauve-souris) germent dans les parties hautes des arbres. Ils commencent par pousser vers le haut en développant branches et feuilles, nécessaires à la photosynthèse, puis développent des racines aériennes qui poussent vers le sol. Quand ces racines ont atteint la couche d'humus, elles y pénètrent et s'implantent, à partir de ce moment, elles se connectent entre elles dans tous les sens, se soudent pour former un réseau de tentacules végétaux qui enveloppent l'arbre-hôte. Ainsi enserré, l'arbre qui supporte le figuier, finit le plus souvent par mourir et se décomposer totalement pour ne laisser qu'un trou au centre de ce qui est devenu un tronc composé de racines entrelacées et soudées. Cette étrange architecture des figuiers-étrangleurs peut se composer parfois de plusieurs "troncs" annexes, qui sont en fait des racines, elles semblent couler comme une étrange pâte vivante, englobant et étouffant, dans une lutte éperdue vers la lumière.
Étrange et un peu effrayant végétal qui lutte à mort pour la clarté du jour, qui piétine nos certitudes en poussant en sens inverse de tout arbre qui se respecte, qui enveloppe et étouffe un congénère pour lui prendre son accès au ciel.

L'empreinte de l'hôte disparu

Ils ont chacun une structure complexe et une personnalité propre, les figuiers étrangleurs semblent appartenir à un autre monde et leur aspect en à souvent fait, dans les cultures qui les côtoient, des êtres magiques. Je ne suis pas loin d’adhérer à ces croyances, tellement la rencontre d'un arbre de cette sorte est toujours quelque chose de vraiment particulier. Quand je croise l'un d'entre eux en forêt, c'est toujours un instant exceptionnel, une véritable rencontre, je me sens touché par un ensorcellement, j'ai l'étrange sentiment d'être à cheval entre deux mondes, dans l'embrasure d'une porte sur l'ailleurs.
Regardez leurs racines qui rampent sur le sol, se déforment, sinuent comme des reptiles,  des serpents figés dans une attente patiente, nul ne peut ignorer leur force vivace. Si elles rencontrent un obstacle elles l'englobent, l'embrassent et l'étreignent, on croirait que cet arbre peut voir, peut vous voir... C'est un arbre-sorcier, un arbre-shaman, il à a sa disposition des millénaires de sortilèges et d'adaptation à son milieu, il vous connaît, vous qui passez, il à sondé votre âme. Délire! me direz-vous, moqueurs et un brin condescendants... peut-être ou peut être pas; je sens des choses que bien des gens ne savent pas ou plus ressentir. Ou est-il le temps très lointain ou notre appréhension de l'invisible était innée et naturelle? Mes sens sont primitifs et peu développés mais comme le dicton nous le dit: "au pays des aveugles, les borgnes sont rois..." Débordés, envahis par la machine sans âme, prisonniers de la technologie (qui est capable de se passer de son portable et de l'internet, même et surtout en vacances?) nos sens véritables se sont émoussés parce que nous ne croyons plus en la nature mais en la machine. La machine à rempli notre monde de ses rouages et de ses circuits imprimés, le monde virtuel est devenu, dans nos esprits orphelins, plus réel que le vrai monde du dehors, celui qui, bien qu'invisible à nos regards, régit notre vie et donc, notre mort.
« Celui qui cherche à s’échapper de l’existence matérielle doit connaître le banian en profondeur, en l’étudiant de façon analytique. Alors il pourra trancher les liens qui l’y retiennent. » swami Prabhupada

Le banian ou pipal tree est le plus sacré des figuiers étrangleurs, principalement dans les pays Bouddhistes: c'est sous son feuillage que Bouddha, a atteint la Bodhi, l'Éveil ou connaissance suprême et Vishnu serait né sous un banian.
Ainsi c'est un arbre définitivement spirituel et je pense que son aspect si particulier, qui fait que deux arbres de la même espèce seront totalement dissemblables, y est pour beaucoup. Ses racines soudées emmêlées, presque en lutte contre elle-mêmes, pleines de cavités ténébreuses ou l'on n'ose s'aventurer avec raison: elles peuvent parfois servir de tanière au cobra, animal sacré et mythique lui aussi, et pourquoi pas d'asile à mes rêves, aux vôtres peut-être aussi...
Dans les grandes lignes, ce sont les raisons de mon attachement et du respect que je voue à ce végétal si particulier, une espèce riche de plusieurs représentants, mais si unique dans le monde, si chargée des croyances et de la spiritualité des hommes.

Si vous ne me croyez pas, je peux vous le montrer, à condition que vous soyez motivé et que vous passiez par là. Notre avenir, l'avenir de notre espèce dépends de notre comportement vis-à-vis de la nature en général, si nos perceptions sont pauvres, notre âme sera indigente et qu'importe la somme sur notre compte en banque, cela ne s'achète pas.
Quelque soit l'endroit ou vous habitez, la prochaine fois que vous verrez un figuier étrangleur, cela arrivera forcément si les frontières de votre pays ne vous suffisent plus, voyez-le non comme un simple objet mais comme un être vivant, touchez-le, sentez sa force et la fragilité de son monde, sentez malgré tout que cet univers est notre maître...