Poro la jumelle



Le temps passe si lentement que je n'y prends pas garde. La langueur ambiante, la chaleur tempérée par la brise marine, la vie locale peu trépidante, tout concours à faire du concept de temps une notion parfaitement abstraite.

Néanmoins, les jours défilent même si c'est avec une lenteur mesurée et je contacte mon moto-taxi attitré: Danny. J'aurais aussi bien pu louer un scooter mais ça me fait plaisir de lui donner du boulot, d'autant qu'il à trois gosses à nourrir. Le matin, direction: Poro, l'île jumelle de Pacijan, après San Francisco, une digue de terre surélevée au-dessus des mangroves relie les deux miettes de calcaire au milieu du bleu de la mer des Camotes.
Je suis étonné de voir que la côte Sud de Poro possède encore des reliquats de l'ancienne forêt tropicale qui devait recouvrir l'île autrefois, avant l'invention de la tronçonneuse. C'est agréable de voir une vraie végétation et non point les omniprésents cocotiers. La raison, si il y en à une, doit être que Poro ne possède pas vraiment de plage digne de ce nom, ainsi l'impact touristique est moindre. Il ne faut pas se lasser de le dire, mais combien de beaux endroits fréquentés par les routards sac au dos, ont été détruits pour attirer une clientèle financièrement plus intéressante, les arbres sont coupés, les paysages bétonnés, les plages privatisées. Ici, ça manque de sable blanc, il y à des coraux et des roches calcaires, des plages sans sable qui ressemblent à du béton mouillé ou des pirogues bleues rêvent à la mer...

Nous traversons des bleds endormis aux noms fleuris: Puro, Libertad, Calmante, Mac Arthur... Tous ces endroits sont autant de bouts du monde reliés par une petite route craquelée comme la croûte d'un cooky et quand vous-vous y arrêtez, cela ressemble toujours à la fin de quelque chose.
Ensuite la végétation s'éclaircit, fini les grands arbres aux branches torses, les lianes. Il n'y à plus que des arbustes et les inévitables cocotiers avec parfois un géant en sursis, le bruit des tronçonneuses résonne toujours quelque part.
Ces grands arbres solitaires me donnent envie de me pelotonner contre eux pour empêcher qu'on leur fasse du mal, pour qu'ils me racontent leur histoire, l'histoire d'îles vierges rongées par les hommes et l'histoire des hommes qui ne peuvent s'empêcher de détruire ce qu'ils aiment.
Au bout d'une jetée de ciment, la mer vous met du bleu au fond des yeux et une île vogue comme un navire et des bateaux dorment comme des îles. Des gamins, garçons et filles, barbotent et rient, ce sont eux toute la vie et l’énergie du lieu, je leur fait une photo pour la route. Assis là sur le ponton gris, je suis barbouillé par la couleur des eaux, repeint en turquoise et émeraude, mon cerveau dans sa boîte d'os, n'est plus qu'une chose molle et inutile: à cet instant il me sert à quoi de penser?

Pourquoi faut-il toujours s'en aller, repartir, quitter un instant qui ne devrait pas finir? c'est le lot du voyageur, celui qui sait pourquoi il part, celui qui sait quel rêve il poursuit et qui à compris depuis longtemps bien sûr que ce n'est qu'un rêve...
Le Nord de Poro est un peu plus pelé mais pas plus bétonné que le reste de l'île, c'est plus tranquille et rural que le sud, le manque de plages et de spots touristiques, l'ont préservé de l'appât du gain.
Villa Hermosa, Puerto Bello, San Jose, Esperanza, les noms de villages, autant que les mots présents dans la langue Tagalog sont un héritage des culs-benits Espagnols, venus autrefois "civiliser" ces mécréants. Sur la route du retour, je me dispense de penser à autre chose que l'instant présent, dans quelque jours, je dois reprendre le bateau pour Cébu. En attendant je vais partager mon repas avec "Petite Misère" et regarder la baie assourdir sa lumière comme on met un foulard sur une lampe à la clarté trop vive, je peux encore oublier qu'il m'est impossible de rester plus longtemps, demain j'irai méditer encore sur la plage blanche noyée de lumière, près des vieilles croix de bois plantées de guingois au milieu de la menthe sauvage...

Danny, mon taxi

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