Mon bout du monde



Presque un an et demi de stress, de recherches, d'attentes de démarches et de déceptions et puis voilà: je viens de signer pour la "possession" d'un minuscule bout de bout du monde. Un morceau de sable près de la mer, et posé dessus, une partie de ce qui fut un ensemble de granges il y à une centaine d'années. Je vis ici, depuis 20 ans, à l'une des extrémités de ce petit pays de France, dans mon lit j'entends les rouleaux Atlantiques battre le sable du rivage. En fait, il s'agit d'une copropriété, les deux autres logements situés sur le même terrain ayant été rachetés par un entrepreneur friqué du coin. Le gars s'est empressé de clôturer les parcelles avec des panneaux de bois de 2m de haut; je suis rentré du boulot un soir en ayant l'impression de pénétrer dans Fort Apache. La sensation était plutôt bizarre, je me suis senti au départ comme un prisonnier sur mon bout de terrain, le manque d'habitude, vous voyez? Je ne suis pas un gars de barrières et de palissades, mais comme nous sommes en été et que les nouveaux propriétaires se sont empressés de louer les logements voisins, je me suis trouvé comme sur une île déserte, isolé du monde agité des touristes. J'ai finalement conclu que cela me convenait plutôt bien, même si la sensation de résider dans une sorte de "ghetto" persiste plus ou moins. Je me suis posé la question, mais la réponse est évidente: ont-ils clôturé pour m'épargner la vue des touristes ou l'inverse? En fait je m'en fous, je songe maintenant à partir cet hiver vers le soleil ou du moins vers l'ailleurs, car le soleil de nos jours n'est pas forcément au rendez-vous, même en dehors de la saison des pluies sous les tropiques... L'hiver ici à été pénible, pas froid, non, nous autres Français de la plaine ne connaissons rien au froid: 10cm de neige et les avions ne s'envolent plus, les autoroutes sont bloquées. Mais la pluie continuelle, la grisaille, l'humidité, voilà ce qui rends neurasthénique, toujours à guetter le ciel pour l'aumône d'un rayon de soleil, un petit bout d'azur qui disparaît à peine entrevu. Je suis trop vieux, je vis au présent et il devient si vite le passé que je dois me faire violence pour ne pas me tourmenter inutilement: parfois il ne faut pas trop réfléchir à ce qui ne peut être changé. Je crois que d'ici un an ou deux, je revendrai cette coquille plantée dans le sol pour faire un nid ailleurs. Voilà de quoi m'occuper, sous quels cieux, ce nid? Je l'ignore encore, pour l'instant je pense à la forêt étouffante de Tarutao, aux figuiers étrangleurs, aux palmiers épineux, aux oiseaux, aux animaux, aux ruisseaux de cristal coulant dans la pénombre de la jungle. Et je sens déjà mon cœur bondir à la vue d'un long corps écailleux glissant sur les feuilles, j'entends le chant mélodieux du Drongo faisant sa cour dans les hautes branches. Voilà la seule anticipation dont je suis capable, la seule perspective que je peux entrevoir: j'ai toujours ignoré ce que pouvait être l'ambition et maintenant je me dis que ce n'est que vanité et futilité. L'ambition, le désir de s'enrichir, en fait nous isole du monde véritable, celui que nous rencontrons sur les routes du Monde... Sans le voyage, le sentier spirituel qu'il nous propose, nous ne sommes que des termites dans une poutre.

"Le voyageur est le héros de sa propre destinée.."  Florian Rochet

«La normalité est une route pavée : on y marche aisément, mais aucune fleur n’y pousse.»  Vincent Van Gogh

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