Je l'ai seulement rêvé?



Me revoilà, j'ouvre les yeux, je retrouve tout pareil, j'ai rêvé ou quoi? Non, le hâle sur ma peau, mon sac ouvert, plein de choses qui me parlent, un bout d'arbre qui se croyait mort. Des photos, endormies dans les petites cartes magiques qui nous servent à présent de mémoire, et moi, tout rempli d'odeurs, de parfums, fourmillant de sensations à fleur de peau, à fleur d'âme, je suis vivant! La vie m'emplit, me submerge, j'ai en moi, quelque part, tout ce que j'ai pris sans rien voler, une richesse accumulée sans léser personne, qui peut en dire autant? peu de monde assurément... Je suis donc si riche et je ne le savais pas, seulement quand j'en parle, cela me remplit, me bouleverse, mes remparts cyniques sont jetés à bas et j'ai envie de pleurer des larmes de joie d'avoir connu ces sensations; la peur, la colère, le pur ravissement, la fatigue et la souffrance de mon corps parfois un peu trop limité pour ce que je lui demande. J'ai caressé avec respect ces grands arbres, nos pères et nos ancêtres, la mémoire de notre monde. Ma main sur leur peau rugueuse ou court la vie millénaire, j'osais à peine la poser. C'est idiot, diront certains, mais je ne leur en veut pas ceux-là sont pauvres, misérables, pourvu qu'ils ne s'en aperçoivent pas trop tard. J'aime cette terre bien plus que ma pauvre mère ne m'a jamais aimé, j'aime la texture des roches, le bruissement de l'eau, la chaleur suffocante, le froid intense; tout ce que je ne comprends pas mais que je dois accepter parce que j'en dépends . C'est ce corps qui nous manquera un jour, il est à la fois notre fardeau et une mécanique biologique d'une impossible acuité. Par tous mes pores je palpe chaque chose autour de moi, la subtilité des fragrances dans l'air, les variations graduelles de la lumière du matin au soir et la manière dont elle se diffuse, la souffrance et le besoin d'amour de l'humain condamné à n'être rien mais à ne s'en rendre compte qu'au soir de sa vie. Comment ne pas comprendre que je préfère m'entourer de feuilles humides, d'animaux furtifs plutôt que de l'univers glacé et fictif qui est le nôtre, homme dans la vie des hommes, le nez plongé sur leur Smartphone, qui ne voient plus rien, qui croient ressentir mais ont oublié ce que c'était, se fiant aux stimuli de la pub et de la télé, aux mirages d'une pensée déjà obsolète mais qui ne le sait pas encore, pour donner un sens à leurs vies...

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