La fontaine de jouvence



   
Le temps reste chaotique sur mon île préférée et nous naviguons entre ciel lourd et pluie. Une longue marche (environ 30km aller et retour) entre Ao son et Ao talo waow se termine dans les dernières heures sous une pluie battante, la nuit étant tombée depuis deux heures. Nous avions seulement envie d'une douche et de vêtements secs et ce fut un délice, mais déjà, j’espérais un peu de soleil pour repartir.
Quand le ciel m'a offert du bleu, je l'ai pris avec gratitude, le matin était lavé et en repos, un gros varan errait derrière le restaurant, les macaques prudents l'observaient de loin. J'ai bu mon café et mangé un peu en avalant aussi cette belle lumière d'un jour qui débute. Il n'y à que moi et les rangers, Pay le silencieux et son épouse qui rit tout le temps, Stefano n'est pas encore levé. J'ai comme toujours à de pareils moments, le sentiment d'avoir le monde qui s'ouvre à moi, un livre somptueux à feuilleter avec gourmandise avec pour seules contraintes, la fatigue, la chaleur(!) et l'effort physique. Mais l'effort dans ce cas est seulement la cerise sur le gâteau, sans effort pour l'acquérir rien n’a de valeur.
J'ai dans l'idée de remonter un ruisseau qui en principe est plus ou moins asséché en cette saison. Mais avec l'abondance de pluie ces derniers jours, c'est un petit torrent aux eaux claires que je longe, encaissé entre deux collines, serpentant sur les rocs. L'originalité de ce cours d'eau c'est que parfois il chemine sous les roches et les graviers, invisible puis ressort aussi clair et cristallin que l'air, épuré par le filtre naturel des sables. Je songe à cette vasque de pierre, creusée par le ruissellement ou l'eau est si transparente et parée d'une irréelle couleur bleutée causée peut-être par son cheminement à travers des roches calcaires.

 En vérité, avec l'abondance des pluies ces derniers jours, je présume que la vasque doit être remplie, un bain y serait le bienvenu.
La forêt est plus belle et verte que jamais, quelle beauté... Résonnant entre les troncs, j'entends le chant d'un oiseau de paradis, loin de l'image bariolée que l'on peut avoir de son espèce le "racket tailed Drongo" est seulement noir avec deux longues tiges munies d'extrémités arrondies qui prolongent les plumes caudales. Quand il fait sa cour le Drongo dresse ses deux plumes caractéristiques tout en dansant et chantant, un vrai show! J'ai eu l'occasion d'y assister, tout près d'ici, un ravissement car cet oiseau est aussi un chanteur très doué. Le chant des oiseaux, le babil du ruisseau, que faut-il de plus? Enfin, j'arrive au bassin d'eau claire, il est plein à ras-bord d'une eau délicatement bleutée, au-delà, il n'y à rien, l'eau chemine sous terre durant une centaine de mètres avant de ressortir ici dans un clair murmure.

En sueur, j'ai tôt fait de me déshabiller et de me glisser dans cette baignoire naturelle, c'est délicieusement frais et délassant. Dans ce creux de roches, encaissé entre des collines boisées, les arbres semblent se refermer sur moi, quelque rayons de soleil arrivent à percer la canopée et jouent sur le miroir de l'eau, sur la surface vernissée des feuilles. C'est un baptême, une purification par la seule véritable force supérieure que je reconnaisse: la nature.

Nu comme à ma naissance dans cette eau si pure, entouré des rocs et des racines, je me livre à ma perversion favorite: une communion quasiment charnelle avec les éléments.
Je reste là sans que le temps ne s'écoule dans l'ombre brune et les éclats de lumière, une libellule rouge volète en-silence, là-bas au-dessus, le plafond de feuillages frémit sous le vent. Je voudrais me couler, me fondre dans l'eau, dans la terre, les rochers, devenir l'écorce des arbres, la feuille traversée par un rai de lumière dorée. Finalement il faut que je m'en aille, que je cesse mon voyage dans le voyage, que je franchisse à nouveau la porte.
C'est désagréable de remettre mes vêtements trempés de sueur refroidie, qui n'ont pas eu le temps de sécher mais après ce bain de jouvence mon esprit est vidé des vapeurs délétères du monde des hommes, mon corps lavé des scories. Je marche avec de l'espoir au cœur, je ne sais pas trop l'espoir de quoi, mais est-ce que c'est important?
Ah oui, j'ai au moins l'espoir qu'il fera beau demain, c'est un début...










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