L'ombre et la lumière




"L'univers est une énigme bouleversante: dès que je m'interroge à son sujet, je me sens plus vivant. Peu importe que nous ne puissions pas répondre à toutes les questions: d'y méditer, cela suffit."

Jostein Gaarder (écrivain et philosophe Norvégien)



Il fait une chaleur humide, étouffante, le ciel est envahi de nuées sombres, gorgées d'eau, le vent venu de la mer secoue furieusement la bâche qui protège ma tente. Il a plu cette nuit, des gouttes pesantes et tièdes et au matin, le sol était comme neuf, lavé, vierge de traces. J'ai décidé d'explorer la jungle derrière la plage d'Ao Son et, peut-être, trouver un passage pour contourner le marécage envahi de palmiers épineux. Retrouver la forme physique est un de mes buts en venant ici, laver mon corps et mon esprit de la souillure, redevenir un peu plus humain, un peu plus fort, moins léthargique, tout le reste en découle. Loin de la technologie, loin de l'univers débilitant qui est le nôtre, le contact direct avec la nature, vraie maîtresse du monde, rends l'esprit plus clair...
Je taille un sentier à grands coups de machette, il faut qu'il soit facilement "lisible" au retour, j'ai peu de points de repère je dois éviter de me perdre, donc de perdre du temps. Pour contourner le marais je dois longer le pied de la colline, il est encombré de gros arbres tombés dans la pente, je rampe, j'escalade, je transpire et je me rends compte que j'ai choisi un passage trop difficile, je dois revenir sur mes pas pour recommencer dans une autre direction. Mais voilà que la pluie se met de la partie, au début je ne peux qu'admirer la beauté de la forêt sous le déluge mais je risque d'être très vite complètement trempé. Bien sûr, j'ai oublié mon poncho, mais en progressant j'aperçois deux troncs écroulés l'un sur l'autre, qui m'offrent une sorte d'abri précaire, la pluie redouble d'intensité et son crépitement couvre les autres sons. Je me plante debout sur le petit morceau de terre sèche à l'aplomb de l'arbre déséquilibré, sombre et menaçant, bardé de lianes. Bien entendu, l'eau finit par ruisseler au long des écorces et me dégouline dessus, quand l'averse se calme et que le soleil revient parsemer de miroirs éclatants le feuillage mouillé, je reprends ma marche. Le moindre arbuste que je touche déverse sur moi sa cargaison de gouttes, les feuilles, les branches, m'arrosent au moindre contact, ce que je taille à la machette m'éclabousse. Le résultat, c'est que mes vêtements, mes chaussures sont imbibés d'eau, comme si je ne m'étais jamais abrité... Après plusieurs heures de ce régime, je n'ai pas du progresser de plus d'un kilomètre ou deux, je suis vanné et trempé jusqu'aux os. Quand je sors du couvert de la végétation, le soleil m'éblouit, je n'avais pas réalisé que j'avais passé une partie de la journée dans la pénombre, la plage étincelle, étendue blanche et vide, le contraste est saisissant. Après avoir séché mes affaires au soleil, je prends le chemin du retour, cela peut paraître idiot, après tous ces efforts en apparence inutiles, mais je suis heureux de cette journée, je me sens calme et apaisé, mon seul désir maintenant est de me glisser sous le jet rafraîchissant d'une douche, pour un bonheur plus parfait. Demain, ou après-demain, je continuerai, j'ai du temps devant moi, une denrée qui n'a pas de prix et dont la valeur augmente encore à mesure qu'il s'écoule...


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