La magie



Ce n'est pas un hobby, non, c'est seulement une sorte de superstition, on peut dire ça... Plusieurs fois, j'ai ramené dans mon bagage, je devrais dire: en plus de mon bagage, un morceau de bois trouvé en forêt. Une parcelle noircie d'un de ces arbres tombé depuis des années et dont le bois n'en finit pas de résister au temps, à l'humidité et aux insectes. En général, je suis séduit ou intrigué par la texture et la couleur du matériau et je sens ou je crois sentir, l'âme de cet arbre abattu mais qui résiste toujours, noirci par les intempéries, rongé, usé par le temps et préservé par sa propre force. Deux fois déjà, j'ai ramené en "oversized luggage"  de grands bâtons de marche façonnés dans du bois de jungle, tombé, abattu, mais j'ai plaisir à le croire, chargé d'une magie vivante. Les douaniers tiquent en le voyant, emballé dans un tissu: c'est quoi? un sabre de samouraï?, non, juste un bâton en bois... Je le trouve durant mes pérégrinations en forêt, il ne paye pas de mine, tout moche et tout sale, je l'entaille un peu et toute la beauté du bois apparaît au-dessous, je ne sais même pas de quelle essence il s'agit. J'ai seulement envie de faire revivre un peu, l'esprit de cet être végétal qui poussait autrefois vers le ciel avec véhémence et opiniâtreté, toute l'énergie de ses cellules dirigées vers ce but: capter le maximum de lumière. A présent, il gît, sur le sol humide, dans l'ombre et la pourriture, hanté par des champignons blafards, ses ossements trop durs oublié sans espoir même par les termites, je veux lui redonner une vie, l'exposer de nouveau à la clarté du jour, le toucher, sentir son grain, sa texture, sous la pulpe sensible de mes doigts, après les années d'oubli, lui donner mon attention. Alors je l'ai emporté vers ma tente, calé sur mon épaule, avec le frémissement fébrile de celui qui à trouvé un trésor. A la machette et au couteau, je l'ai taillé, dégrossi, comme on cure une plaie, parce qu’un bout d'arbre même pourri, ça peut être gros. J'ai cherché dans sa forme, une idée de son ancienne vie, j'ai voulu extraire une infime parcelle de son être pour rendre justice à sa force et à sa beauté, à celle de tous les arbres.. A plusieurs occasions, j'ai été séduit par des pièces de bois d'une couleur et d'une texture magnifiques, mais dont je n'ai su tirer quelque chose, souvent par manque de temps ou à cause de leur taille et de leur poids, j'ai dû les abandonner à regrets comme on laisse un ami de fraîche date mais déjà devenu proche. Le bâton de l'année dernière, j'aime le regarder, caresser son poli, il est long et droit, il était le cœur d'un tronc. Il n'est pas froid, la vie résonne toujours en lui, son cœur bat encore, pourrait-on dire, il contient l'idée des feuilles et des branches, le chant des oiseaux, le ventre froid d'un lézard sur son écorce, les pattes agiles de l'écureuil. Il contient de la magie, des choses qu'on ne peut voir, qu'on ne peut acheter, une essence infinie, il contient le monde...





A un moment, je me suis trouvé devant un trou, ce qui devait être l'idée d'une branche dans l"âme du tronc, j'y ai inséré un cabochon de cristal de roche ramené d'un voyage et qu'il me semblait avoir gardé tout ce temps pour qu'il trouve sa place ici...

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