L'invité surprise (3)

Le temps à passé, il est sournois, le temps, si vous le guettez, il se traîne, semblant de rien, il sifflote, il regarde ailleurs, s'arrête même des fois, mater le paysage sur le bord de la route, il se gratte, fait pipi, mange un morceau, il se fout de vous, quoi. Mais dès que vous le lâchez des yeux, il relève sur ses maigres mollets, cette espèce de toge pas propre qui lui sert de vêtement et il court à toute vitesse, la barbe au vent, comme un voleur fétichiste, qu'aurait piqué un string sur une corde à linge. Si vous repensez à lui, rebelote! au moment ou vous reportez votre attention sur sa vieille barbe mal peignée, vous le trouvez en train de faire la sieste à l'ombre, le salopard. C'est comme ça que les jours se sont écoulés, les semaines, les mois, je pensais parfois au petit bonhomme ( je ne suis pas grand non plus!) qui s'était invité chez moi, une nuit de printemps, je jetais un coup d’œil nostalgique sur la bouteille d'huile de pépins de raisin et je me faisais une assiette de spaghetti, histoire de raviver les souvenirs. Pendant longtemps, le soir, je sortais parfois sur le pas de la porte pour regarder le ciel nocturne, en me disant que là-haut, se baladait un amateur de nouilles au fromage, je me demandais si ses potes étaient pareil que lui et si ils rêvaient de pizza ou de calzone en pilotant leur soucoupe parmi les étoiles. J'aime bien les gens différents, des qui ne sont pas coulés dans le moule, parce que parfois, j'ai la sensation de me balader au milieu d'une population de clones, qui donne l'impression de faire les même choses, de la même manière, avec les même pensées, et lui, il l'était, différent, c'est sûr, difficile d’être plus différent que ça. hormis le fait qu'il frappait à ma porte à pas d'heure et qu'il se baladait à poil, abstraction faite de sa manière décalée et un brin condescendante qu'il avait de dire: "vous, les humains" je l'avais trouvé sympa. En plus, il ne s'en rendait pas compte, mais à force de nous regarder vivre, comme on regarde une émission nullissime de télé réalité, il avait commencé à devenir un peu humain, juste assez mais pas trop.      J'avais fini par m'habituer au fait qu'il était reparti pour toujours, ou que ce soit, très loin d'ici, sûrement. Des soupçons m'étaient venus, à force de cogiter et j'avais acquis la certitude que je n'étais pas le seul à savoir, il y avait ceux qui étaient tombés dans les pommes ou qui s'étaient barrés en hurlant et d'autres, comme moi qui leur avaient tendu la main sans se poser de questions, quelles questions j'aurais pu me poser? Je comprenais pourquoi ils restaient discrets, des nations se seraient battues pour les avoir comme alliés ou pour s'approprier leur technologie tout en cachant leur existence, peut-être les disséquer, les gouvernements adorent jouer les parano, faire des trucs en douce, garder des secrets qui puent, genre X-files. Zeb me l'avait dit, même si les confidences, c'était pas son truc, la fameuse histoire de Roswell, c'était rien que des conneries, inventées par les Américains pour faire flipper les Russes à l'époque de la guerre froide. Ça le faisait bien rigoler cette histoire, comme s'ils avaient pu être assez stupides pour se faire gauler par des cornichons de militaires. Personnellement, ça n'entamait pas ma conception du monde, je ne suis jamais tout à fait sûr de quoi que ce soit qui ne peut m'être prouvé de manière irréfutable, pour les ovni, j'avais un doute, maintenant je n'en avais plus, ça s'arrêtait là. Avec Zeb, je faisais semblant de me vexer quand il évoquait le coté fruste et violent des humains mais en réalité je sais déjà depuis longtemps que nous sommes encore une espèce en devenir, pas si évoluée que ça, à moins que l'invention des fast-foods ou de la télé à écran plat soient le sommet de la civilisation. J'imaginais souvent ce qui arriverait, le jour ou les populations en auraient assez d'être gouvernées par des gros malins avides et menteurs, un jour, mais dans très longtemps. Je rêvais à l'âge d'or de l'humanité que je ne verrai jamais. Je commençais même à me demander  si je n'étais pas un gars un peu blasé, style: j'ai bouffé une assiette de spaghetti avec un extraterrestre et plus rien ne peut m'étonner, mais non, tant que je m'attendrirai sur un rouge-gorge posé sur le rebord de ma fenêtre, tant que j'aurai le réflexe de donner un coup de volant pour éviter un crapaud ou un hérisson, au risque de me casser la gueule dans le fossé et tant que la souffrance des autres ne me sera pas indifférente, je resterais plus ou moins humain. Mais je m'interrogeais parfois sur le sens que l'ont peut donner à ce mot, je crois qu'en fin de compte, j'en étais un peu revenu, de l'humanité, si j'avais eu une soucoupe, moi, il y à longtemps que je me serai barré, je ne suis pas un dur, je fais juste semblant, mais parfois cela suffit pour être peinard.
Début Mars, je rentrais d'un périple de deux mois en Asie, la tête encore dans l'ailleurs, plein d'images et de souvenirs et les poches vides. Que notre monde est étrange, je me dis souvent, étrange effrayant et magique, même si il y à autant de cons  partout et parfois, plus de gens bien, qu'on pourrait le croire. Ce qui n'est pas magique, par contre, c'est de se ré-acclimater, mettre des pull-over et un bonnet en laine changer de peau et d'habitudes, s'enrhumer, retourner au boulot, les gens me semblent si tristes, ici, et finalement, il y à souvent de quoi, les rues sont grises et opulentes, presque désertes et mon coin de cambrousse paraît si silencieux, il y à encore des gelées blanches le matin, qui me font frissonner. A présent, les soirées trop courtes et les matins vaseux étaient mon lot, comme tout un chacun, et la quête de petites joies quotidiennes. Je me suis fait des fonds d'écran avec les photos de vacance, manière de garder un pied ailleurs. Ne pas avoir de télé me mettait un peu à l'abri de la tourista de connerie  qui s'abat sur le citoyen moyen, mais pas autant que je l'aurais voulu et puis, quand on navigue sur une vieille barcasse mal fichue, on préfère se tenir au courant des nouvelles voies d'eau, ce qui me gêne, c'est qu'on veut toujours les boucher rien qu'en mettant le doigt. Je me fabriquais des rêves avec des toiles bon marché et de la peinture à l'huile, le printemps arrivait avec des cris d'oies sauvages sur le retour, qui longeaient les plages vers le Nord. J'entendais leurs cris, la nuit, au-dessus des toits; tiens, je me disais, la planète tourne encore. Quand le vent secouait ma porte, je tendais l'oreille, espérant un visiteur inattendu, et puis je m'étais lassé, si ça se trouve, j'avais rêvé...                                                                                                                                 Des jours et des nuits sont encore passés, on aurait dit ces voiles blanches, que l'on aperçoit au loin, par beau temps, et qui disparaissent vers l'horizon, menées par des marins invisibles, vers des destinations inconnues. Peut-être n'étaient-ce que des fantômes de bateau et des fantômes de journées ou bien des nuits sans fin, de longs songes dont je ne me réveillais jamais. Dans tous les cas, j'avais parfois de sacrées aptitudes à broyer du noir, mais ça c'est normal, le mec qui est toujours content et qui trouve que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, c'est qu'il est sous Prozac ou qu'il s'est cogné une fois de trop la tête contre le lavabo en ramassant sa brosse à dents. C'était le dernier soir de la semaine, je m'étais couché tôt, avec la résolution de dormir huit heures au moins, mais le sommeil, c'est comme l'amour, plus on le cherche, moins on le trouve, quand on le trouve, il ne dure pas assez longtemps. Alors je me tournais et retournais sous les draps, la tête pleine de pensées futiles et envahissantes, du genre qui font les insomnies, quand j'ai entendu un bruit, je n'y ai pas prêté attention, chez moi, il y à toujours des bruits, fantômes ou bestioles, qu'est-ce que j'en sais? mais ça à recommencé et là c'était net: on frappait au volet, je m'emmerdais tellement à essayer de dormir que ça ne me gênait même pas de me lever. A cette heure, ce n'était pas l'huissier, ni le facteur qui m'apportait une mise en demeure du centre des impôts, je n'ai pas de judas, ces trucs qui servent à regarder qui frappe chez vous et dont je n'aime pas le nom, d'ailleurs ça n'a jamais empêché les mauvaises surprises. Je me suis donc levé, avec la légèreté d'un vieil hippopotame rhumatisant pour aller ouvrir, sans prendre la peine de grincer le traditionnel: "qui c'est?", de toute manière, personne ne répondrait: "c'est Gérard Cruel, le tueur en série!" je vieillissais, je devenais un peu parano. J'ouvre donc et vlan, qui je vois, qui clignait des yeux dans la lumière?, je l'ai reconnu tout de suite et ça aurait été difficile de me tromper, vu qu'il est quand même assez reconnaissable, je vous le donne en mille: le Zeb, habillé pareil que d'habitude, c'est à dire, pas du tout. Merde! je dis, stupéfait, c'est toi! il souriait mieux qu'avant, il avait dû s'entraîner, Non, c'est le Père Noël! qu'il me réponds, même question humour, il avait fait des progrès, en riant, je l'ai fait entrer et j'ai vite refermé derrière. Je souriais comme un idiot, et je crois que mes yeux se sont mouillés un peu, je ne l'ai pas serré dans mes bras, même si j'en avais envie, quelque chose me disait que dans les cultures extraterrestres  il y à quand même des choses qui ne se font pas, ce qui ne nous à pas empêché de se secouer la paluche avec une joie sincère.
 Je ne croyais plus te revoir un jour! je lui dis, tout heureux de contempler son crâne chauve. Moi non plus! il me réponds sur le même ton mais en cessant de sourire, tu sais, je me suis fait choper, mes chefs m'ont soufflé dans les bronches, et il m'ont envoyé ausculter un astéroïde de merde, dans la voie lactée, la galère! comme quoi, j'avais compromis la sécurité de leurs opérations et tout ça, sur le coup, ils ont pas du tout aimé! il avait pris un air de gravité qui m'a un peu inquiété mais j'ai noté qu'il avait aussi fait des progrès de langage. Mais alors, je lui demande, comment ça se fait que tu sois là? il à toussoté avec un bruit d'aboiement un peu aigu et j'ai senti qu'il se passait quelque chose. Et bien, tu vois, il à repris, quelqu'un s'est demandé ce que j'avais foutu avec un humain, on m'a interrogé, j'ai pas parlé des spaghetti, parce que là, pour le coup, ils m'envoyaient dans un autre système solaire, compter les poussières sur une lune déserte! J'étais sur le gril: et t'a dis quoi?  Ben, qu'on avait discuté, tout ça, et que t'avais pas eu les jetons, que t'étais plutôt sympa comme terrien... Et alors? à croire qu'il le faisait exprès de me filer les crocs, si je devais être atomisé, je préférais le savoir de suite. Il à souri, pour me rassurer, sans doute, et il à dit: Ils veulent que j'accompagne un personnage important, qui veut te rencontrer... Je me suis demandé si j'avais bien entendu, je lui ai fait répéter mais il n'y avait pas de doute: ça devenait sérieux et je n'aime pas trop les trucs sérieux, j'irai jusqu'à dire que je les trouve ennuyeux. Moi? j'ai fait, pas tranquille du tout, mais je ne suis ni un scientifique, ni quelqu'un d'important, rien qu'un prolo dans un pays qui en à de plus en plus, autant dire que je ne suis rien du tout, heureusement, il y à quand même des gens mieux que moi, dans le coin, des plus intelligents, plus calés, plus tout, quoi! il pourrait aller les voir, eux. Non, non, c'est comme ça, y'a pas photo! c'est de toi, qu'il s'agit, pas d'un autre! qu'il à dit, pour clore la polémique, et je te le dis pour la forme, tu n'en parles sous aucun prétexte, sinon cela serait annulé et les conversations entre potes, on pourra faire une croix dessus.
On à continué à causer de tout et de rien, de la pluie et du beau temps, comme le font tous les gens qui ne se sont pas vus depuis un moment. Il me raconta son séjour sur un astéroïde, au bout de la galaxie, tu te rends compte, disait-il en agitant les mains comme un Italien, obligé de mettre un vêtement de protection, un machin... un scaphandre, ou quelque chose qui y ressemble, j'ai horreur de ce truc, ça me gratte de partout et ça me rends claustrophobe! obligé de faire des trous dans un gros caillou pourri, pour récupérer des informations dont personne n'à rien à foutre, j'avais les boules! mais bon, c'est vrai que j'ai un peu déconné...  Dis donc, je lui demandai, t'as pris des cours de langue, ou quoi? il se redressa, l'air satisfait: Ouais, avant de revenir ici, j'ai eu droit à une petite remise à niveau, j'avais deux options: littéraire ou populaire, j'ai choisi populaire, c'est cool, non?.. Je m'en serai douté, j'ai répondu.
(Toujours à suivre...)

Commentaires

Articles les plus consultés