Partir et revenir




« Vous avez cru que tout pouvait se mettre en chiffres et en formules. Mais, dans votre belle nomenclature, vous avez oublié la rose sauvage, les signes du ciel, les visages d’été, la grande voix de la mer, les instants du déchirement et la colère des hommes… Le désespoir est un bâillon. C’est le tonnerre de l’espoir, la fulguration du bonheur qui déchirent le silence de cette ville assiégée… Détruisez vos certificats, crevez les vitres des bureaux, quittez les files de la peur, criez la liberté aux quatre coins du ciel… Jetons tous ces bâillons. Sur la terre sèche, dans les crevasses de la chaleur, voici la première pluie. Voici l’automne où tout reverdit, le vent frais de la mer ».

Albert Camus  "L’État de siège"

En fait, je n'ai pas la télé et je n'écoute pas la radio, je me contente du net qui parle également en boucle de la situation présente. Tout ce blabla finit par stresser énormément les gens et ce n'est pas bon pour nous, donc je vais changer de sujet. De toute manière, la seule vraie envie que j'ai c'est de pouvoir m'extraire de cette angoissante coquille, de partir loin d'ici mais je ne peux pas, comme tout le monde je suis cloîtré ici.
Les départs et les retours sont toujours pénibles, mais l'arrivée, ah oui l'arrivée! Le changement de tout: Commencer à transpirer, la première goutte qui coule dans le dos à peine sorti de l'aéroport alors que l'Europe est dans l'hiver, grisâtre et humide, grelottant.Traverser une ville loin, très loin de chez nous et regarder par la vitre du taxi, avec curiosité, un spectacle pourtant anodin: des gens vaquant à leurs occupations dans une ville, des trottoirs, des maisons des immeubles. Parler Anglais comme si la langue maternelle devenait obsolète dans un univers ou le Français est une langue morte.
La nourriture, tellement plus "étrangère" dans ses saveurs et ses odeurs, la manière même de l'absorber: avec des baguettes ou avec les doigts, suprême transgression de nos habitudes policées. Comme au Népal on peut mélanger légumes, sauce en remuant le riz à pleine poignée. On ne récite pas les grâces partout comme aux Philippines, on se nourrit corps et esprit. La spiritualité est dans le fumet et la sapidité.
Marcher seulement dans les rues devient une expérience de vie, dans une cité étrangère ou nous sommes étrangers. Regarder les gens, marcher, se mouvoir, parler, comme dans n'importe quel endroit de la planète. Voir l'innocence et le désarroi des enfants qui jouent sur les trottoirs défoncés. L'amour visible des parents si semblable au nôtre, exactement pareil...
Même à Bangkok, que je connais mieux que Bordeaux ou Paris, la transition est fantastique. Ce qui se passe en moi est juste une sorte de changement. Je ne suis plus celui qui à quitté son pays, une subtile transformation s'est opérée. Mais c'est comme une peau que je quitte en retournant chez moi, la mue est difficile et prends du temps. Il me reste seulement cette bonne vieille nostalgie.

Commentaires

Articles les plus consultés