Une plage trop longue...


Les jours étaient ponctués d'éclaircies et je pointais mon nez dehors avec une circonspection teintée d'espoir. Je ne me sentais pas confiant envers mon appréhension novice de la météo, Mais je m'armais d'espoir et je remontais la longue plage de Lo Po beach. Trois kilomètres de sable sous les pieds, autant de jungle d'un côté et de mer Andaman de l'autre, quand le soleil tape, c'est bien plus éprouvant que ça à en à l'air. A la moitié du chemin, un bonjour à Mr Pollini, c'est Stefano qui l'a baptisé ainsi. Mr Pollini, c'est l'extrémité d'une poutre de quille appartenant à un bateau échoué il y à des années  totalement enterré sous le sable par les tempêtes de mousson. Seul émerge ce morceau de bois d'environ deux mètres que nous affublons régulièrement d'un gilet de sauvetage et d'un casque de moto ramassé à la limite des marées. Parfois nous lui donnons un bras ou une jambe, faite de bois flotté sommairement fixé par des cordes de nylon,un présent éphémère vite repris par les flots. Son nom lui vient de la marque inscrite sur son premier casque: Pollini, en plus la consonance Italienne nous à amusés. Impossible de passer devant Mr Pollini sans lui adresser un bonjour ni sans s’inquiéter de son bien être et de sa santé, ce bout de bois est devenu un ami, un sujet de conversation. En quelque sorte un pilier inamovible de l'endroit, un symbole dérisoire de la dérision, une chose muette qui ne parle qu'à nous toujours debout face à la mer, plongé dans une réflexion secrète.

Au bout de cette plage, il y à une lagune qui correspond aux deux rivières qui se jettent dans la mer en formant une sorte de delta envahi par les eaux à marée haute, couvert d'une forêt de mangroves. Je rêve de remonter la rivière la plus à gauche, large et bordée d'une végétation dense, mais par ici c'est impossible, j'ai déjà essayé. Dès que le temps sera un peu plus calme et stable je me promet de tenter la traversée depuis la Lo Po river avec la chute d'eau du même nom. Il y à deux ans, j'ai retracé la voie vers ce site et contrairement à ce que l'on m'avait dit il y à de l'eau et elle cascade sur des roches noires acérées, j'aurais du éviter de trop en parler, maintenant certains rangers du parc organisent des randonnées de plusieurs personnes vers cet endroit. Je me sens un peu trahi comme si des étrangers s'étaient permis de tripoter mon univers intime avec leurs doigts sales... Je sais, je ne suis pas chez moi et je n'ai pas de titre de propriété n'empêche que l'idée d'une troupe bruyante et irrespectueuse dans le sanctuaire me révulse. Le problème c'est que le touriste visite la jungle comme... un touriste. Il le fait pour le faire et dire qu'il l'à fait mais il n'y à pas d'amour pas de véritable respect ni de communion, d'interaction physique avec la nature. J'ai rencontré peu de gens qui sont capables d'un tel comportement, je crois que leur "équipement" sensitif ne s'y prête pas, trop grossier, trop rationnel et c'est bien dommage...

J'apprécie et je respecte Stefano à cause de ça, nous sommes pareil, égoïstes voyeurs, amoureux des animaux et des espaces naturels, l'arrivée bruyante des bulldozers et des bétonnières nous inquiète également. C'est une intrusion iconoclaste de la ferraille et du bruit dans un monde fragile et ça me fout la trouille.. Nous élaborons avec angoisse des scenarii catastrophe ou la jungle et les plages sont ravagés pour construire des "resorts" de luxe. C'est une vieille peur qui nous tiens depuis longtemps car nous savons l'appétit des promoteurs cannibales pour les endroits vierges et les belles plages. Nous les imaginons balancer des insecticides pour éradiquer les "sandflies", ces petits insectes volants à la cruelle piqûre qui infestent le rivage, le riche n'aime pas les insectes.. Lo Po et Molae envahis par les parasols et les chaises longues, des piscines, des boîtes de nuits avec des prostituées, peut-être même des full moon parties, l'horreur de cette perspective nous fait frissonner. C'est à peine pessimiste, et c'est déjà arrivé à beaucoup d'îles, qu'elles fassent partie des parcs nationaux ou non: du béton, des commerces, du bruit, des genres de Phuket et Samui, des lieux magnifiques transformés en pompes à fric.

Je m'amuse à fermer les yeux tout en marchant, j'oublie le monde, il s'est effacé, le plus longtemps possible je marche dans ma nuit personnelle, je guette les bruits, la sensation de mes pieds foulant le sable fin. Je me guide sur le murmure de la mer, mais sur la large bande de sable découverte par la marée aucun obstacle ne peut me gêner. J'entends un aigle pêcheur lancer un ridicule cri de canard, loin dans la jungle un Langur pousse de rauques hurlements. J'ai senti une goutte légère sur ma peau, va-t'il pleuvoir? Je rouvre les yeux pour scruter le ciel ou roulent par moments de gros nuages gris, la lumière m'éblouit, un coin de ciel bleu me ravit...

Au bout de la plage éblouissante de blancheur je suis comme au bout du monde ou plutôt au bord du monde. Je me penche sur l'eau comme on se pencherait sur le vide de l'espace pour contempler les étoiles. La-bas, les mangroves sont perchées sur des pattes d'insectes noires et luisantes, des araignées végétales couronnées de feuillage. Des macaques, se mouvant avec lenteur m'observent d'un œil agressif, j'entends des cris de menace comme si j'allais traverser le bras d'eau bleue pour envahir leur territoire. Avec un bonheur innocent, je plisse les yeux sous le soleil alors que de lourdes nuées noires roulent au-dessus de la jungle. Le vent caresse doucement la chevelure des casuarinas, produisant un murmure ténu qui ressemble à des chuchotements....
 








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