Bornéo (2)


Lundu

Tandis que je ressasse dans ma tête, le gâchis hideux de toute cette vie, le bus poursuit son chemin et finit par me déposer dans la village de Lundu, assoupi au bord d'une rivière sous un ciel plombé. Le parc de Gunung gadin se trouve plus loin au bout de la route qui quitte l'agglomération. Un gars du coin, qui m'a repéré, vient à moi et propose de m'y emmener en voiture, moyennant quelque Ringgits.

L'entrée du parc est déserte, mon chauffeur  me laisse son numéro de portable au cas ou j'aurais besoin de ses services. La réception est aussi calme qu'une morgue, seul un employé somnole derrière un comptoir trop grand. Il me confirme avec un grand sourire que la Rafflésia à éclos et me propose de m'emmener la voir. Pas la peine qu'il se dérange, il me suffit d'une carte du parc avec les sentiers, il fait une croix à l'emplacement comme pour un trésor et me donne la clé numérotée d'un bungalow. Chouette le bungalow, tout en bois sur pilotis avec une véranda, prévu pour cinq mais j'y suis seul.
A peine posé mon sac, muni de ma carte, je fonce vers la Rafflésia, il me reste plusieurs heures avant la tombée de la nuit. Le parc est situé sur des hauteurs et ça grimpe, je passe un pont branlant sur un torrent et je suis encore un bout de piste.
 Je ne peux pas la rater, elle est là, un peu coincée entre un gros rocher et un petit arbre, curieuse corolle posée sur le sol, sans tige ni feuilles, seulement une couronne de pétales charnus autour d'un bol orangé. Elle à la réputation de dégager une odeur fétide, je me penche, je renifle, non, pas tant que ça, ce sont seulement des ragots de jaloux qui n'ont pas sa beauté ni sa taille (80 cm de diamètre à vue d’œil). J'ai profité au maximum de mon intimité avec la belle légendaire, je l'ai admirée, je lui ai parlé même, mais bien sûr je ne l'ai pas touchée; cette beauté extraterrestre est fragile, le contact de mes doigts de Terriens sur sa chair veloutée la blesserait.

Le jour déclinait quand je suis rentré au bungalow, tout remué de cette rencontre d'un autre monde, j'évite de penser qu'elle aura sûrement d'autres visiteurs moins respectueux.
Le lendemain, aux aurores je suis sur les sentiers, la jungle est magnifique, exubérante, humide, c'est le royaume des nuances de vert, la vie rampe, vole et bruit à l'infini. Je songe encore aux forêts dévastées, arrachées, déchirées, leur sol nu replanté de stupides palmiers à huile.

J'ai vu des lézards dégingandés couleur gazon, des orchidées qui semblent me regarder, des arbres vénérables avec des racines qui poussent sur leurs branches et même un oiseau bleu aux yeux rouges. J'ai respiré l'odeur puissante des pâles mycéliums dans leur royaume d'humus pourrissant, les fragrances mêlées du règne végétal et animal.Je ne peux me lasser de toute cette beauté, j'ai comme la sensation, le sentiment d'un contact avec quelque chose d'essentiel, peut-être est-ce seulement le fantasme d'un idiot rêveur, non je sais que non.
.Le sol était déjà détrempé et spongieux mais voilà que la pluie se met de la partie, la forêt s'assombrit et le crépitement des gouttes sur les feuillages ne laissent plus de doute. J'avais prévu un poncho que j'enfile à regrets compte tenu de la chaleur déjà étouffante, mais mes chaussures légères sont déjà à l'état de serpillères boueuses. Ça ne m'empêche pas de continuer ma balade, la pluie aussi fait partie du voyage.
Le lendemain, le ciel se dégage, j'ai toujours le parc pour moi tout seul mais impossible de faire sécher mes affaires, mon sac commence à moisir, dans cet univers humide je vais finir par moisir aussi.Une dernière promenade vers le sommet de la montagne et demain, je retourne sur Kuching puis vers Semenggoh, le parc qui sert aussi de centre de "réhabilitation" à la vie sauvage pour les orang outan blessés et les petits dont les parents ont été tués ou capturés par les braconniers ou les "wood smugglers" les contrebandiers de bois exotiques, les assassins d'arbres, les tueurs "d'hommes des bois"(orang outan en Malayan). C'est un autre rêve, de voir les derniers grands singes roux avant que bêtise et cupidité humaines les aient finalement décimés.



Commentaires

Articles les plus consultés