L'eau et le soleil




"Dès que la moindre parcelle de sagesse est entrée dans l'esprit d'un homme il aspire à la solitude."

 Alexandra David-Neel

Le jour s'assombrissait doucement, je marchais vers la plage ou était plantée ma tente, un bruit me fit tourner la tête, je m'arrêtai tout net, sur le talus, à quelque mètres, une civette me regardait, je n'osais plus bouger, surtout pas prendre mon appareil photo. Je détaillai son pelage gris tavelé de noir, ses grands yeux sombres qui me fixaient, temps suspendu, magie de l'instant, puis une fuite un peu paresseuse. Je suis reparti, le sourire aux lèvres en portant en moi la richesse impalpable d'une jolie rencontre.
Quelque jours plus tard, nous voilà sur la route, sac sur le dos, vers Talo Udang, la route est déserte et le pas joyeux. nous ne flânons pas, cette fois il faut rallier notre but final avant la nuit. Stefano s'est équipé en treillis militaire, depuis l'année dernière il à compris que des vêtements solides et pratiques sont une bonne option dans la jungle, bien sûr il à acheté une machette et est impatient de s'en servir.
Douze kilomètres de route cimentée avec la jungle de chaque côté, des montées très raides qui nous laissent à bout de souffle, et le soleil qui commence à cogner, comme elle nous paraît longue cette fichue route!
Quand la mer apparaît enfin au détour du ruban de ciment, derrière les arbres, nous savons que la moitié du périple est presque achevée. il nous reste environ encore un kilomètre avant d'arriver à Talo Waow.
Nous sommes assis à l'ombre, en face du grand rocher planté dans la mer, nos affaires sèchent au soleil, le temps de reprendre notre souffle, de goûter le silence et la paix qui règnent ici, une bienfaisante brise marine glisse sur nos épaules.
Trois quart d'heures plus tard, nos vêtements sont secs et nous repartons, cette fois, au bout du site touristique de l'ancienne prison, c'est la jungle. Le sol sous nos pas devient inégal, terre et cailloux, troncs, racines, Stefano taille tout ce qui ressemble à une plante épineuse, nous commençons à compter les ponts, sachant maintenant qu'il y en à vingt-neuf.
L'ambiance est joyeuse, comme moi, quand il est au cœur de la verdure, Stefano à son moral au beau fixe, nous renouons avec notre aventure de l'année précédente, retrouvons nos traces, nos émotions sous le toit de verdure qui s'abreuve aux rayons du soleil, là-haut, au-dessus de nos têtes.
Le bon côté, c'est que le soleil ne tape plus directement sur nos crânes, le mauvais, c'est que nous marchons dans une serre un peu étouffante, encombrée de végétation morte et vivante. Ca à pas mal repoussé, et je ne m'en étonne pas, au contraire, c'est bien ça qui me ravit, cette aptitude de la forêt à se renouveler, sa vie exubérante et cette force qui la pousse sans cesse à bourgeonner et croître.
La vie de la forêt, c'est sa propre putréfaction et son énergie, l'eau et le soleil, il y à beaucoup d'eau ici et la plupart des ponts, ceux qui tiennent encore debout, enjambent un ruisseau si petit soit-il en saison sèche.
L'eau claire et fraîche court sur un lit de roches usées aux angles arrondis par l'érosion, notre passage est salué par le plouf de grosses grenouilles.
Il est toujours là, endormi pour longtemps, le vieux bulldozer abandonné au milieu des bois depuis tant d'années, je ne sais rien de son histoire, ni pourquoi il est resté là, assoupi dans un lit de verdure. Enfin nous traversons le dernier pont, envahi lui aussi par les racines et les fougères, puis le paysage s'éclaircit, de hautes herbes, un sol spongieux, la mer, là-bas.
Pet, le ranger est toujours là, planté dans son bout de monde, mais il n'a plus que trois chiens, les autres ont disparu dans la jungle, sans doute dans le ventre du python monstrueux qui rôde ou simplement mordus par un serpent venimeux.
Ici, la végétation s'ouvre sur la mer, il n'y à rien que la modeste maison (Rangers HQ!) ou vivent le ranger en poste et son épouse et là-bas, en face, la silhouette montagneuse de Langkawi, Malaisie.
Ce soir au menu, poisson frais et coquillages et les fenêtres ouvertes dans la nuit, sur les bruits, les chants et les frôlements. Allongé sur ma paillasse, j'écoute le vrai bruit du monde, la respiration de l'univers, comme chaque humain devrait le sentir, effrayant, rassurant, magnifique...
Talo Udang rangers HQ
Vue depuis la maison
Mon lit au "Talo Udang Hilton"

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