La piste oubliee...(3)


Finalement, nous arrivons à Talo Waow, point de départ véritable de notre périple, déjà écrasés de chaleur, suants sous un soleil de plomb fondu. Nous n'avons pas vu même le mirage d'un moyen de transport et nous octroyons une petite demi-heure de repos à l'ombre d'un bâtiment vide, histoire de faire un peu sécher nos T-shirts au soleil sur le béton brûlant et d'enlever nos chaussures pour laisser reposer nos pieds. Une trentaine de minutes plus tard, nous sommes pratiquement secs, les chaussures de nouveau enfilées et c'est reparti.

D'abord il faut refaire le chemin parcouru lors de ma brève reconnaissance de la piste, le site du bagne, la route pavée, puis la piste de terre, je retrouve sans trop de peine la route que j'avais tracée, ce chemin est franchi assez rapidement, c'est autant de temps de gagné parce qu’il va falloir ne pas traîner si nous voulons arriver avant la nuit, il nous reste moins de sept heures et je suis moins optimiste que Stefano. Mais on s'en fout, après tout on verra bien, pour l'instant nous devons nous concentrer sur le chemin devant nous.
Le troisième pont marque la limite de mon exploration précédente, à partir de l'autre rive du torrent ou je n'ai pas posé le pied, il va falloir manier les machettes pour ouvrir la route et notre Rital s'y colle avec un plaisir non dissimulé. Le tracé de l'ancienne piste est envahi par des plantes et des palmiers qui coupent toute visibilité et il faut tailler de jeunes arbustes envahissants de parfois deux ou trois mètres de haut. Malgré nos efforts il est impossible de débroussailler la largeur totale de ce qui était autrefois une véritable voie de circulation, mais j'ai expliqué à Stefano que ce doit être dégagé de manière visible. Pour qu'une piste soit facilement retrouvée il faut qu'elle soit "lisible" que l’œil perçoive immédiatement comme un layon, un sentier déjà pratiqué, sous peine de connaître des difficultés à retrouver ses marques voire à risquer de s'écarter de quelque mètres de la piste d'origine, ce qui peut suffire pour se perdre. Ce qui n'est pas souhaitable, car elle est à la fois notre but et notre guide.

La forêt est magnifique, luxuriante au possible, mais nous ne prenons pas trop le temps de l'admirer. Nous sommes plusieurs fois confrontés à des arbres abattus entremêlés de palmiers épineux, les contourner est parfois la meilleure option. Nous rencontrons plusieurs ponts, il faut parfois sauter la crevasse qui s'est formée par l'action des eaux de ruissellement entre le tablier et la berge mais ces ouvrages nous indiquent que nous sommes dans la bonne direction. Après quelque heures, mon bras, celui qui tient la machette commence à fatiguer, je laisse le Rital passer devant, il n'attends que ça. Il faut dire que sa belle énergie fait plaisir à voir, j'ai toujours admiré ça chez lui, cette manière de foncer têtue et sans faiblesse. Il faut seulement que parfois je le réoriente dans la bonne direction, son œil moins exercé que le mien, ne reconnaît pas toujours sous ses pieds, le sol de l'ancienne piste, surtout que les fossés censés la border de chaque côté sont parfois quasiment effacés par le ruissellement. A d'autres moments, sur une centaine de mètres, la vieille route s'ouvre devant nous, presque intacte, mais cela ne dure pas.
L'heure avance plus vite que nous, je me garde de faire la réflexion mais Stefano s'en est rendu compte aussi bien que moi et il force l'allure avec l'opiniâtreté d'un taureau furieux en m'entraînant dans son sillage. Il taille, taille, à un moment, il pousse un cri, se tient la figure à deux mains, il me demande d'asperger son œil gauche avec de l'eau, comme j'utilise un système d'hydratation avec un tuyau, je remplis ma bouche je m'approche je et crache. La brûlure s'apaise un peu et il décide d'appliquer une recette locale, il urine dans une bouteille d'eau vide et s'asperge le visage.  Cette fois ça va bien mieux, je dis: "tu sais, j'ai craché dans ton œil, j'aurais pu pisser aussi, pas de problème.." il rit, son globe oculaire est très rouge et nous ne savons pas ce qui à provoqué la brûlure: un jet d'acide formique, une goutte d'une sève toxique?

Nous repartons finalement, mais je me rends compte que j'ai épuisé ma réserve d'eau, pas le temps d'en prendre dans un ruisseau, Stefano partage ce qui lui reste, le jour décline rapidement mais la visibilité est encore très bonne. Nous enchaînons les ponts, il y en à un qui est complètement détruit, les eaux de ruissellement l'ont sapé par en-dessous, j'ignore combien nous en avons passé, une douzaine sans doute. Sur le bord de la piste, un vieux bulldozer abandonné, rouille dans la végétation, pas le temps de s'attendrir sur son sort, la forêt à gagné le combat, la machine à perdu.
Cette fois, la lumière décline vraiment, l'ombre rampe entre les troncs, le ciel s'assombrit graduellement, et finalement il faut avoir recours aux frontales, les obstacles et les dangers deviennent plus difficiles à voir, la forêt n'est plus verte elle est grise dans les faisceaux blancs. Les grands couteaux au bout de nos bras se lèvent et s'abattent, il fait le plus gros, moi derrière, je taille ce qu'il à laissé, la fatigue me prends dans un étau poisseux mais seulement quand j'y pense alors j'évite d'y penser.                                                                                                                                       


Cette fois, une nuit de goudron est tombée sur la jungle, mais nous avons de la chance, le but semble se rapprocher, la végétation est plus clairsemée, la route plus facile, je décèle des traces de passage humain pas trop anciennes. Soudain, je me cogne dans un truc que je crois épineux, douleur, panique, je me touche le visage: pas de sang sur mes doigts, mais il est difficile de bien voir, on trace on ne réfléchit pas. Encore un pont, combien? me demande mon acolyte, je ne sais pas, quinze ou seize. Juste après, des herbes hautes, c'est l'adrénaline qui nous pousse en avant, nous sentons le bout de la route, il y à de l'eau, mes chaussures sont trempées. Après les herbes, un ruisseau qui serpente dans le sable et au-delà un noir d'encre. Nous entendons des aboiements de chiens, toute une meute à ce qu'il paraît, on dirait que nous sommes arrivés. "On va se faire bouffer!" me lance Stefano mais je n'en ai rien à faire, si une bestiole m'attaque, je la découpe à la machette, je veux m'assoir, m'arrêter et surtout boire de l'eau, cela fait déjà un bon moment que nous avons épuisé nos réserves et la soif nous tenaille....
A suivre...

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