La piste oubliée...(2)






Stefano, je l'ai connu par un ami commun, le joyeux et rondouillard Kaï, ranger sur Tarutao et employé au restaurant de Molae durant la saison touristique. Stefano et moi, on ne se ressemble pas du tout, pas la même vie, ni les même goûts dans beaucoup de domaines,  pas le même âge non plus, dix années de différence, mais là ou on se rejoint, c'est qu'on aime la nature, les animaux, le soleil et... notre île sauvage. Généralement, durant les six ou sept semaines de mon séjour, je viens le voir régulièrement, lui aussi de temps en temps, franchit les quatre kilomètres qui séparent nos "résidences" respectives pour nous rendre visite, mais nous sommes des solitaires. Solitaire, je le suis bien plus que lui  je pense, parce que je passe seul la majeure partie de mon temps, en forêt, sans souffrir de solitude le moins du monde. Lui c'est un Rital, issu d'une civilisation ou il n'est pas concevable de vivre seul, un peuple chaleureux. L'an dernier, je l'ai emmené jusqu'à ma cascade cachée pour un bivouac qu'il à apprécié, obsédé qu'il est par le besoin de surprendre la vie sauvage. Toujours à jaillir de son hamac en pleine nuit, lampe à la main, juste pour un bruit d'animal dans le noir, un frôlement qui réveille son avidité de surprendre un être improbable. Avec ça une énergie presque inépuisable et un curiosité sans borne, le compagnon idéal pour une randonnée en terrain inconnu.
 Quand je lui dévoile mon projet; son œil s'allume: c'est OK pas de problème, sauf qu'il aimerait bien se débrouiller pour ne pas faire la première dizaine de kilomètres à pied d'autant plus qu'il aura déjà parcouru quatre kilomètres pour me rejoindre ici et je suis plutôt d'accord, sauf qu'il est difficile d'avoir une assurance à ce sujet. Nous pourrions louer le camion pour nous emmener mais ce n'est pas du jeu, défendu de tricher et étant donné la durée de nos séjours, nous vivons à l'économie. Finalement, nous-nous mettons d'accord pour un départ dans quelque jours, d'ici là il doit se procurer une bouteille de "ya dong" un alcool soi-disant médicinal, censé servir de cadeau pour le Ranger de Talo Udang. Stefano parle le Thaï et un gars de sa connaissance lui à expliqué que ce serait une bonne idée, qu'il nous inviterait à sa table et que là-bas on trouvait les meilleurs et les plus gros coquillages de l'île.  Ces Thaïlandais! ils nous ressemblent vraiment beaucoup, ils ne pensent qu'à la nourriture. Moi, de mon côté, je soupçonne le type de prêcher pour sa paroisse, vu que c'est lui qui fabrique le "ya dong" et qui le vends. Il fabrique ça à partir d'un petit arbre de la forêt, qu'on appelle ici: "malaria tree", je le connais, un tronc long et étroit au maximum cinq à six centimètres de diamètre sur six mètres de haut, une touffe de feuilles tout en haut, comme un palmier. En Malaisie on l'appelle 'Tongkat" et toute sorte de vertus sont attribuées à sa racine, dont une qui préoccupe beaucoup les hommes en général et surtout ici: restaurer la vigueur sexuelle. L'idée que ce gars coupe un arbre, même petit et plutôt rare en forêt, pour fabriquer son tord-boyaux à vocation "médicinale" ne me plaît pas beaucoup mais je ne suis pas chez moi et je n'ai rien à dire sur l'utilisation des ressources dans un Parc National.
                    
La veille du départ Stefano est venu installer son hamac entre deux arbres pour être sûr d'être là de bonne heure le matin et aussi pour s'éviter d'avoir plusieurs kilomètres à faire avant même d'être parti. Il s'est réveillé excité comme une puce; Picha, un Ranger que nous connaissons, lui prête un grand couteau dans sa gaine, suffisamment long et affûté pour servir de machette et il piaffe d'impatience de s'en servir. Ce qui m’inquiète un peu plus c'est qu'il à décidé de laisser ici son hamac équipé d'une moustiquaire, sûr qu'il est d'arriver avant la nuit et d'être hébergé chez le Ranger de Talo Udang. Je ne suis pas très chaud pour abandonner la possibilité de bivouaquer en forêt: d'après mon expérience et quelque calculs rapides: une heure de marche dans la jungle en taillant son chemin équivaut à avancer d'un kilomètre, voire de deux ou peut-être un peu plus dans de bonnes conditions. Il nous faudra donc au moins sept heures pour franchir les douze kilomètres de piste envahie par la forêt, plus deux heures pour les dix kilomètres depuis Molae. Selon moi: impossible d'arriver avant la nuit. "On finira à la frontale!" qu'il me lance en entendant mes réticences. Bon, j'abandonne à regrets mon hamac, après tout on verra bien, l'enthousiasme du Rital n'admet pas de pessimisme dans les rangs.

 Le premier kilomètre entre Molae et le croisement des routes nous le faisons en camion, mais ensuite il doit emmener des gens vers la jetée, de l'autre côté et il ira "peut-être" plus tard dans notre direction, si des touristes louent ses services pour aller visiter le site de la prison. Cela nous laisse une petite chance d'être ramassés sur la route, mais vraiment petite, nous voila donc partis, avec nos sacs sur le dos, un peu de nourriture, trois litres d'eau chacun, des affaires de toilette, les sacs de couchage, appareils photo, T-shirt de rechange, machettes, bref le minimum nécessaire et j'ai en plus des pastilles pour purifier l'eau au cas ou.
Comme nous sommes le matin, le soleil est encore bas derrière les arbres et il ne fait pas trop chaud, nous prenons la route joyeusement, Stefano est ravi de l'aventure et moi aussi, les oiseaux chantent dans les grands arbres qui dominent la route, des singes crient à notre passage, un écureuil géant nous regarde passer, il est gros comme un chat avec tous les attributs d'un écureuil: queue touffue, agilité, un pelage noir, le ventre brun clair, il à l'air tout énervé et marmonne dans sa barbe. Le temps passe et nous avançons alors que notre perfide ami le soleil, commence à darder ses rayons brûlants sur nos épaules et nos crânes dés que nous quittons l'ombre des feuillages. Nous entamons une montée vraiment raide qui commence à pomper l'eau hors de notre corps, Stefano ruisselle et moi aussi, dire qu'on à pas encore commencé le vrai périple et nous n'avons parcouru qu'un petit cinquième du chemin. Nos oreilles tendues guettent le bruit improbable d'un moteur derrière nous mais la route reste désespérément déserte, nous marchons pourtant joyeusement, l’énergie de chacun stimulant celle de l'autre, le monde est à nous et le ciel est bleu....
A suivre...

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