Jipe et le monstre...



J'avais envie de faire une petite visite de courtoisie à cette jolie cascade cachée dans l'épaisseur de la forêt. J'aime y venir  rêver, loin des autres touristes et loin de tout, loin de moi-même et de mes pensées grises. Quand j'arrive à cet endroit, après plusieurs heures de marche harassante dans la jungle, trempé de sueur, je m’assois et je vide mon esprit de ses scories, comme on ouvre les fenêtres pour laisser entrer la lumière, évacuer les vapeurs nauséeuses et les mauvaises odeurs. Je me pose sur une roche grise, devant l'eau qui tombe sans relâche, une image du temps qui passe et de l'éternité, ce qui nous blesse et ce que nous ne pouvons appréhender. A cet instant pourtant rien ne me fait plus mal et tout me semble plus lumineux, d'une logique si évidente que je n'ai même pas à la formuler.
Je me sens comme dans un ventre vert ou la propre eau de mon corps est à l'unisson de celle qui coule autour des roches.  Je regarde son miroir liquide dévaler la pente, caressant les feuillages penchés sur elle et griffant la glaise brune ou se tortillent des nœuds de racines.
Les troncs s'élèvent autour de moi à la manière des colonnes de cathédrale et les arches soutiennent une voûte de feuillage, un plafond de vitraux qui colorent la lumière dans toutes les nuances du vert et du jaune. L'arcade des frondaisons est un manteau qui me recouvre avec douceur, comme on remonte la couverture sur un enfant qui dort..
Noyé dans mon rêve, je disparaît, je n'existe plus durant un long moment, mes narines aspirent le même air que respirent les bêtes et les plantes. Soudé au roc tiède, je suis devenu un étrange végétal sensible, je peux capter les moindre nuances d'odeurs et tonalités de couleurs, la vibration des sons. Je suis loin, je suis caché dans mon endroit secret, à l'écart du monde, loin des pachydermes humains qui vous écrasent et écrasent le délicat et l'admirable sans le voir. Quelle magnifique sensation! je dois m'en extraire avec regrets, à la manière dont on quitte des vêtements chauds pour entrer dans une eau glacée. Ce jour-là je prends quelque photos, frustré à l'avance de savoir qu'elle ne seront que des images mortes, figées dans un espace-temps déjà obsolète.
C'est à ce moment que je vois un truc bizarre dans l'eau claire, au pied de la cascade. On dirait un animal, un truc aquatique avec des griffes blanches. Comme je crains de faire fuir l'étrange bestiole, je me rapproche hors de sa vue et je plonge la GoPro au bout d'une canne télescopique, juste devant son nez. Je filme un peu au jugé sans rien voir, juste un bout de patte avec ces drôles de griffes blanches, ce n'est pas un varan, ça c'est sûr. Au bout d'un instant, je me rends compte que la bestiole à disparu. Plus tard, sur ma tablette, je visionnerai le court bout de film: c'est une tortue, la plus étrange tortue que je n'ai jamais vue, des yeux blancs une peau de crapaud, dire que je me suis baigné juste à cet endroit, je n'imaginais pas l'étrange compagnon de baignade que j'avais sans le savoir...



                                                  


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