Une journée à la plage

Je n'avais pas vraiment le temps de me laisser sécher, j'ai retraversé l'étendue de gros galets rougeâtres veinés de blanc et je suis rentré à nouveau sous le couvert des arbres. J'ai obliqué vers la gauche, des macaques que je ne voyais pas poussaient des cris rauques, des cris d'alerte pour l'intrus que je suis. Je longe la grosse colline mal fichue que je sais se trouver juste après la plage de galets, la végétation au niveau du sol est relativement clairsemée, pas trop difficile à traverser, sauf qu'il y à plein de petites lianes en travers de mon chemin, dans lesquelles je n'arrête pas de me prendre les pieds, elles sont très solides, inutile de tirer dessus, mais j'évite de les trancher à la machette autant qu'il est possible, je n'aime pas l'idée de traverser la forêt comme un vandale. Un vol de trois ou quatre Calaos pie, traverse le ciel au-dessus des arbres en poussant ces cris discordants qui ont l'air de leur arracher la gorge, en levant les yeux, je les voit à peine, à travers des trouées de feuillages dans la canopée, vision fugitive de plumages noir et blanc. A un moment, je n'ai plus le choix, il faut que je grimpe la colline, je n'ai qu'une idée vague de la topographie du terrain, mais je pense que je dois parvenir au sommet de la crête si je veux me repérer, la pente est un peu raide, à regrets, j'entame la montée. La terre est humide et glissante, pleine de cailloux aux arêtes aiguës qui roulent sous mes pas, je dois m'accrocher aux plantes et aux arbustes pour éviter de me casser la figure, pas d'endroit pour m'arrêter souffler un peu, je ruisselle comme une fontaine, j'ai toujours au bout du nez, une goutte de transpiration qui me chatouille, comme je ne peux pas me servir de mes mains, je souffle fort en mettant ma lèvre inférieure en avant, la goutte s'envole et se reforme quelque minutes plus tard. Enfin, un gros rocher planté dans la pente me permet un arrêt, je me cale, dépose mon sac pour attraper le tuyau de la réserve d'eau. Je bois de longue gorgées, normalement, je n'ai pas besoin de m'arrêter pour ça, c'est le but du sac d'hydratation avec son tuyau, mais j'ai vraiment besoin de souffler, l'année qui vient de s'écouler n'a pas été géniale sous tous les plans, en fait je dis plutôt: une année de merde... Je n'ai pas beaucoup fait d'exercice, ces derniers mois, juste un peu de vélo, je dois me refaire une forme.Cinq minutes après, je suis reparti, j'y arrive finalement sur cette fichue crête et je la suis dans la même direction, on dirait presque du terrain plat. La plage ne doit pas être très loin mais j'ai beau tendre l'oreille, je n'entends pas la mer, il faut que je redescende de l'autre côté pour vérifier. L'autre versant est moins long, mais ensuite il y à une autre montée: Encore! me dis-je, je ne m'en souvenais pas, j'espère seulement que je ne suis pas encore en train de me perdre, cela m'est déjà arrivé. La seconde colline gravie, la pente est moins raide, j'entends le bruit de la mer, ce qui veut dire que je dois redescendre. Normalement, il y à une sorte de lit de ruissellement des eaux de pluie, avec des gros cailloux et des racines qui facilitent la descente, mais j'ai beau chercher, je ne le trouve pas. La pente est vraiment raide et c'est bien plus difficile que de monter, pas du point de vue physique, mais si je perds l'équilibre, je risque vraiment de me faire mal, autant que possible, je m'agrippe à la végétation, vérifiant d'abord la solidité, je me suis fait peur en accrochant un petit tronc qui s'est brisé quand je me suis appuyé dessus. Je descend la pente en biais, parce-que c'est plus pratique mais aussi en espérant retrouver le chemin plus facile que je cherchais. Il me faut contourner des bouquets enchevêtrés de palmiers-rotin épineux, je dérape de nombreuses fois, heureusement même dans la pente, la végétation est suffisante pour me permettre de me raccrocher. Enfin, après avoir tracé mon chemin tant bien que mal et m'être fait agresser par une colonie de minuscules fourmis, en villégiature dans des buissons que je me suis permis de traverser sans leur demander la permission, j'arrive aux bouquets de petits bambous qui annoncent la plage. Le sol devient carrément plat, le bruit de la mer se fait plus puissant, je manque de me faire arracher la peau du visage par une de ces fines lianes très solides et garnies de crochets que les palmiers-rotin balancent au bout de leurs feuilles. Ça c'est un truc auquel il faut vraiment faire attention: que l'on s'accroche la peau ou les vêtements, ce sont toujours eux qui se déchirent, les petits hameçons végétaux, jamais.
Enfin, un espace ouvert, du sable, du soleil, l'horizon! Je me fabrique en vitesse une espèce de cadre en bois flotté, planté dans le sable pour mettre mes affaires à sécher et je me mets à poil, j'ai vérifié, aucune barque de pêcheur à l'ancre, je suis tout seul et tous mes vêtements sont trempés, je peux sortir les "rations de survie" que j'ai acheté en France, c'est pas fantastique au goût, mais ça cale bien et compense plus ou moins les pertes en minéraux dues à la transpiration. Que c'est bon, cette eau bleue, tiède et calme, rien à voir avec l'océan près de chez moi, turbulent et glacé. Cela fait à peine une demi-heure que je suis sur la plage et je vois arriver par le sud, au-dessus de la forêt qui borde la plage, de gros nuages beaucoup trop noirs, j'ai pigé, pas besoin de me faire un dessin, j'ai juste le temps de ré-enfiler mes vêtements mouillés, de sortir mon poncho, plus pour protéger mon sac que moi-même et l'averse se déclenche, tout devient sombre, le ciel, la plage, la forêt. Par chance, au retour, j'ai retrouvé le chemin que je cherchais, ça tombe bien, grimper cette pente glissante et gorgée d'eau aurait été un peu hasardeux et sûrement difficile. La, je grimpe comme un escalier rudimentaire, fait de roches grises et de racines, j'étouffe sous le poncho mais mon sac est à l'abri, mon appareil photo aussi. Cette fois, je coupe tout droit, sous l'eau qui dégouline de partout, pour rejoindre la route, à environ un kilomètre en face, là, les pieds enfin sur un sol dur, enfermés dans des chaussures qui ressemblent à des éponges, j'entame le court chemin de retour, la pluie cesse enfin et je peux me débarrasser de ce foutu poncho et je ne suis pas mécontent de ma journée "à la plage", une bonne balade, l'effort, cela me fait du bien, me rends optimiste, et puis ici, personne pour juger de ma résistance ou évaluer mes "performances", mon but est juste de faire sortir de mon corps tout ce que j'ai absorbé de délétère, physiquement ou en pensée, je ne sais pas si je peux me faire comprendre, mais je me sens comme purifié, le terme n'est pas excessif, je marche, boueux et trempé et je me sens "propre", ce sera encore mieux après une douche, cette idée m'aiguillonne et j'accélère le pas, un petit varan noir et jaune, traverse la route sans se presser en balançant sa longue langue grise....

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