De roche et de feuilles

Il m'a semblé, ou du moins l'ai-je espéré, qu'il allait faire beau, ce jours-là. Depuis une semaine que j'avais planté ma tente, pas une journée ne s'était passée sans qu'il pleuve, ça commençait à devenir lassant. Mais ce matin, le ciel avait un aspect engageant, un petit air amical, bleu et ensoleillé, en faisant abstraction des quelque nuages gris qui s'obstinaient à traîner leurs haillons. Alors je me suis dit que ce matin, j'allais faire un tour à la plage, pas celle près de laquelle est installé mon camp, non, une autre que l'on peut atteindre seulement par la mer, ou bien en traversant 1 km de jungle à partir de la route. Autant dire que la plupart du temps, cette plage est déserte, on y voit parfois une barque de pêcheurs qui s'y arrêtent pour une sieste ou pour faire de l'eau douce à la source qui coule depuis la jungle sur le sable, traçant un léger sillon dans la plage humide et disparaissant avant de se mêler à l'eau salée.
Pour faire une balade un peu plus longue, je suis parti du bout de la plage d'Ao Molae, là, je suis entré dans la forêt, à chaque fois, c'est un émerveillement, je ne m'en lasse pas. Aujourd'hui, les rayons de soleil donnent vie à la forêt, des oiseaux invisibles chantent à tue-tête, des taches lumineuses parsèment le sol couvert de feuilles mortes, un éclat de lumière sur le tronc court d'un palmier épineux donnent l'illusion que ses fines épines sont faites d'or éclatant.
J'ai surpris une vache sauvage, oui, il y en à, des vraies avec des cornes et tout, elle vivent dans cette zone de la forêt, autour de l'étang caché vers lequel je marche et ne sortent que la nuit. La vache s'est enfuie en faisant autant de bruit qu'un tracteur agricole lancé à travers la forêt, j'ai eu juste le temps de voir sa robe rousse. Les eaux de l'étang avaient par endroits des reflets de jade dans des nuances de vert et de jaune, il y à une petite île au milieu, juste comme une grosse motte de terre noire et de racines emmêlées couronnée par une touffe de palmiers, des "licuala spinosa" avec de longues feuilles triangulaires traversées par le soleil, ces plantes aiment avoir les pieds dans l'eau, là on ne peut pas faire mieux. Les rives sont boueuses, on y voit des traces de sabots mais les vaches sont maintenant définitivement invisibles, sur les troncs des arbres, sont collées ces grosses fougères que l'on nomme chez nous: "cornes de cerf" à cause de la forme caractéristique de leurs feuilles, ce ne sont pas des parasites, comme certaines orchidées elle se nourrissent des particules végétales emportées par le ruissellement de l'eau. Elle recueillent leurs nutriments dans une large feuille collée contre les troncs et qui leur servent à la fois de pied et de pot de fleurs, ces sortes de plantes qui ne sont pas parasitaires mais vivent sur d'autres espèces sont appelées "plantes épiphyte" j'aime bien ce mot, quand je le prononce j'ai l'impression d'en savoir long alors que je ne sais rien du tout.
La première plage est faite de rocs et de galets rouges, c'est à peine si un peu de sable y pose une légère tache de blanc, étrange, ce paysage minéral, alors que derrière moi il y à un rideau de verdure, dense et mouvant, le soleil frappe sauvagement les cailloux mais cela fait déjà un bon moment que je suis trempé de transpiration. Je me suis assis sur des rochers, à l'ombre, regardant la mer, elle est d'un profond bleu de céruleum, comme un mélange de l'outremer du lapis-lazuli et de turquoise. Il y à un vent léger qui me donne des frissons glacés en caressant mon T-shirt trempé, d'ici, je vois une autre île au loin, sans doute Koh Bulon, ce silence et ces couleurs sont comme un baume apaisant sur des blessures mal guéries. Loin au-dessus de moi, un aigle pêcheur couleur de rouille et de neige, plane sur la brise, si libre, si haut, qu'il me donne la nostalgie du ciel, comme si dans une autre vie j’avais été un oiseau et que cette incarnation m'avait privé de mes ailes...

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