Nuit en forêt

J'ai tendu mon hamac et sa moustiquaire entre deux jeunes arbres, à l'endroit que j'avais choisi lors de mon passage,  j'étais content de déposer le sac qui commençait à me peser sur les épaules, l'eau, la gamelle en alu de l'armée allemande, la nourriture, le hamac, le poncho,  l'appareil photo, la caméra, la paracorde, la ficelle en nylon, séparément ce sont des bricoles qui ne pèsent rien mais ensembles, au bout de quelque heures, cela me scie les épaules, je crois aussi que j'aurais du investir un peu plus dans un  vrai sac. J'emballe le tout dans un grand sac poubelle et je le suspends à une corde tendue. Le poncho me sert d'abri au-dessus du hamac, il est prévu comme ça, déployé, il à l'aspect d'une bâche rectangulaire de deux mètres cinquante sur un mètre cinquante, avec des œillets de fixation. Ensuite, je descends dans le lit du torrent, à cet endroit, il est sec, l'eau disparaît dans le sol quelque mètres plus haut, pour en ressortir un peu plus bas, c'est comme ça tout du long, un ruisseau fantasque. Je rassemble des cailloux, pour former un foyer et après avoir ramassé autant de bois aussi sec que possible, il me faut une vingtaine de minutes pour allumer des brindilles, mais finalement, une belle flamme claire monte avec une sorte de gaieté, le léger vent qui descends le lit du torrent fait se courber le filet de fumée bleue. La lumière du jour commence à baisser, je me débarrasse de mon T-shirt trempé pour le mettre à sécher sur une branche, comme il n'y à pas de moustiques, c'est un vrai plaisir de se mettre à l'aise. Un bruit ténu me fait dresser l'oreille alors que je suis assis sur un rocher, regardant le feu. Émergeant de la demi-obscurité, un varan se glisse avec précautions entre les cailloux, lent, mesuré comme le temps, tâtant l'air de sa langue et disparaît derrière les roches, je n'avais pas bougé, retenant ma respiration, immobile.Je mets de l'eau à chauffer pour les nouilles instantanées de mon repas, le bois mort ne manque pas, même le bois sec. C'est agréable un feu de camp mais dans la jungle, ça chauffe un peu trop, alors après mon court repas, je le laisse s'éteindre. Avec une lenteur désespérante, la nuit est tombée, plus que le noir total et les yeux des braises mourantes. Dans le hamac on croirait flotter dans l'espace, tant la nuit est épaisse, mais sans le silence. Les bruits sont plus ténus qu'on pourrait le croire: une simple feuille sèche, il y en à de très larges, fait plus de bruit en tombant qu'un animal précautionneux. Les chauve-souris, grandes comme des rats, sont tellement silencieuses dans leur vol feutré que si je ne les capturais pas dans le faisceau de ma frontale, seul leur cri d'une acuité ténue me renseignerait sur leur présence. De minuscules points brillants, dans la lumière électrique, m'intriguent, je m'en approche pour vérifier, ce sont les yeux de dizaines de petites araignées, tapies sous les feuilles mortes, les cailloux, sur les arbres, tout autour. Une pierre roule dans le lit du ruisseau, un oiseau invisible lance un cri étrange, un gecko tokay pousse sa drôle de plainte. Des grillons ont entamé un concert, quelque grenouilles les accompagnent, par instants. Et soudain, je m'aperçoit que dans le noir absolu, le sol s'est éclairé, des taches fluorescentes, au ras du sol et à la base des troncs, diffusent une lueur fantomatique, étrange et fascinante. Impossible de prendre une photo, je n'ai pas de trépied et sûrement que le temps d'exposition serait très long, cette lueur est trop fugace. Alors que j'essaie de m'endormir, il s'est mis à pleuvoir, d'abord quelque gouttes puis un vrai déluge, mon abri, se révèle efficace, mais avec la tombée de la nuit, la température à baissé, un léger courant d'air froid me glace, le vent canalisé par le lit du torrent est frais, sans plus, mais je grelotte.Sous l'effet de la pluie la fluorescence cesse, puis reprends de plus belle, je peux même discerner les feuilles mortes sur le sol, c'est fabuleux, déconcertant et magnifique. J'ai fini par m'endormir mais quelque chose me réveille dans la nuit, j'ouvre les yeux, je ne vois que du noir et là-haut, dans les étroits espaces entre les frondaisons, la faible clarté qui est celle du ciel nocturne. J'entends près de mon oreille comme un souffle rauque et lent, avec quelque chose d'humain, je me raidis: "c'est quoi, ça?", deux respirations, puis plus rien, j'ai beau m'user les yeux sur l'ombre opaque, je ne vois rien du tout.  La légende des fantômes de prisonniers morts, me revient à l'esprit, c'était une visite de courtoisie sans doute. Enfin j'ai réussi à m'endormir quelques heures, d'un sommeil trop lourd et trop court, et je m’éveille comme on ressuscite, alors que le jour pointe, des flaques bien plus claires sont apparues entre les feuillages, des oiseaux s’éveillent, les grillons se taisent, les cigales les remplacent, j'ai du dormir quatre heures, c'est vrai que je n'ai jamais pu me reposer dans un hamac. Les premiers rayons de lumière traversent les feuillages, la forêt fume, une vapeur de brouillard s'élève du sol, rampe autour des buissons, la température remonte très vite. Je rallume le feu qui couve encore sous la cendre, je pensais que la pluie l'avait éteint. Au ruisseau je puise un peu d'eau que je mets à bouillir pour un frugal déjeuner d'Ovaltine et il ne me reste plus qu'a plier mon camp pour rentrer. Je n'oublierai pas cette nuit, ma première nuit en forêt, comme un contact avec le mystère du monde, comme une visite clandestine, et encore plus surnaturelle que je n'aurai pu le rêver...

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