L'invité surprise (24)

Ce type était venu jusqu’ici attiré par le gros salaire qu’avaient du lui proposer les Rôdeurs et sans doute aussi la perspective de violer quelque jolies indiennes. Je dévisageai un instant sa figure aux traits grossiers et il dit quelque chose en Portugais sur le ton de la prière. Il souffrait et souffrirait encore avant de mourir. Je braquai l’arme sur sa tête et, les yeux fermés, pressai la détente, je rouvris les paupières en fixant les arbres devant moi, sans plus regarder le sol et je continuai mon chemin.
J’allais au pas de course, je croisai le cadavre d’un garimpeiro et celui d’un Rôdeur criblés de flèches, la forêt avait une odeur de carnage. Deux guerriers se tenaient debout devant un arbre regardant quelque chose au sol, je m’approchai. Un Rôdeur était assis par terre le dos appuyé contre un tronc. Sa chemise kaki était déchirée il était sale et tenait sa tête baissée. Sur sa poitrine qui se soulevait avec peine, je vis deux blessures livides. Les Hommes vrais avaient hésité à lui porter le coup de grâce, la vue de son sang translucide semblait leur inspirer une crainte superstitieuse. Je leur demandai de ne pas le tuer et de nous laisser, ils se détournèrent à regrets puis finalement repartirent en chasse sur la trace des derniers ennemis.
Je restai seul face au Rôdeur qui releva la tête pour me jeter l’habituel regard plein de haine, ces types paraissaient incapables de vous regarder d’une autre manière. Même blessé, sans doute mourant, réduit à l’impuissance, il nous haïssait encore et je ne comprenais pas d’où leur venait cette rancœur. La colère me fit exploser, je gueulai: Mais bordel, pourquoi? Ça vous à servi à quoi de faire des milliers de kilomètres pour venir crever ici? Tu me regardes comme si j’avais buté tes mômes et je ne te connais même pas! Il eut un sourire grimaçant: nous ne pouvons pas avoir d’enfants, répliqua-t’il  et il fit un bruit bizarre qui devait être un ricanement avant d’ajouter: vos chers amis les Vimans ne l’ont pas voulu… Je ne comprends rien de ce que vous dites, fis-je agacé, vous… Le Rôdeur me coupa la parole avec de la rage dans la voix: Les Vimans vous aiment, cracha-t’il, mais pour eux nous ne sommes que des monstres! Il fut secoué par une douloureuse quinte de toux et je restai à le regarder sans savoir que dire. J’avais voulu lui parler pour enfin comprendre l’origine de leur haine et voilà que je pataugeais dans les énigmes et ça me gonflait, j’eus envie de tourner les talons et de le laisser crever là mais je ne sais pourquoi, je ne le fis pas, peut-être me sentais-je coupable du meurtre du rôdeur par Alex, là-bas, il y avait cent ans.
Le mourant me regarda, le sang translucide avait cessé de couler de ses blessures, il avait un vilain rictus dont je ne pus discerner si il était ironique ou douloureux. Ils ne vous ont rien dit, n’est-ce pas?  Il avait articulé ces mots de manière un peu laborieuse, il chercha à se redresser contre le tronc je compris que sa mauvaise position lui rendait la parole difficile et je tendis la main pour l’aider. Il me repoussa rageusement et poussant de ses pieds il finit par installer son buste plus confortablement contre l’écorce. Idiots! Lança-t’il finalement, vous ne comprenez pas que nous sommes leurs enfants! Je ne sus que répondre, je commençais à me sentir complètement stupide, plus il me donnait de réponses ou de pistes et moins je comprenais. Les enfants de qui? Finis-je par dire, des Vimans? Il y eut un moment de silence, j’imaginai qu’il essayait de reprendre des forces, son regard fixait dans le vide, sa poitrine se soulevait tandis qu’il inspirait avec peine l’air chaud et humide.
Quand son regard se posa à nouveau sur moi, toute haine semblait en avoir disparu, je n’y voyais plus qu’une grande lassitude. Il me fixa ainsi un long moment. Les Vimans nous ont créés, dit-il sans cesser de plonger son regard dans le mien, ses yeux étaient verts, d’un étrange vert d’eau stagnante, leur couleur me fit penser au rêve que j’avais eu la nuit précédente, les yeux tristes des femmes-araignées. Le Rôdeur reprit tout à coup la parole: C’était il y à longtemps, dit-il d’une voix plus ferme, les Vimans étaient horrifiés du comportement des humains, les guerres, les massacres, la misère, toutes les horreurs dont vous êtes capables, ils ont voulu créer une espèce semblable mais meilleure, plus fine, plus sensible et intelligente… Je le coupai: et c’est vous l’espèce meilleure? J’avais mis dans ma question une ironie que je regrettai immédiatement, il eut un ricanement: oui, quelle dérision n’est-ce pas? Nous ne sommes qu’une expérience ratée, quand ils se sont aperçu de ce qu’ils avaient fait, ils ont pris peur et nous ont ôté toute capacité de nous reproduire. Nous vivons beaucoup plus longtemps que vous mais notre espèce est condamnée, d’ailleurs vous en avez exterminé les derniers représentants…Il inspira une grande goulée d’air tiède, et reprit la parole, ça, fit-il avec amertume, vous savez le faire mieux que les Vimans, eux n‘en ont pas le droit… Ses yeux couleur d’algues ne me quittaient pas, il inspira encore et continua: Mais vous savez faire quelque chose d’autre dont nous sommes incapables, vous savez créer de la beauté… Il s’anima soudain, ses mains s’agitèrent devant lui pour décrire et englober des choses que je ne voyais pas. L’art nous est inconnu, savez-vous? Nous ne laisserons rien derrière nous, ni progéniture, ni œuvres de l’esprit, nous ne sommes rien! Ses mains retombèrent, il avait presque crié les derniers mots, il paraissait épuisé mais il parlait toujours, les mots coulaient comme le sang d’une plaie mortelle, sans paraître pouvoir s’arrêter. C’est pour cela que nous voulons sonder l’esprit des Vimans, pour savoir, pour comprendre enfin ou se trouve la faille, redevenir des humains normaux, vivre, aimer, créer, avoir des enfants. Ils détiennent la clé mais refusent obstinément de nous la donner, ils disent que c’est impossible, alors nous devons nous servir, fouiller leurs cerveaux, mais cela n’à servi à rien…à rien du tout…Il y avait comme des sanglots dans sa voix. Il chuchota presque les derniers mots, sa voix paraissait s’éteindre: …nous ne connaissons que la haine et la colère… Je suis désolé, dis-je, que cela finisse de cette manière…et j’étais réellement triste de ce gâchis. Le Rôdeur vivait ses derniers instants, cela se voyait, la peau de son visage était transparente de pâleur, sa respiration était devenue imperceptible, il dit dans un soupir: Je crois qu’une partie de la solution était en nous, je m‘en rends compte à présent…et nous n’avons pas su la trouver…Son visage exprimait une infinie tristesse et je vis avec stupeur couler de grosses larmes sur ses joues crayeuses, sa tête retomba et je compris qu’il était mort.
(à suivre...)

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