L'invité surprise (11)

Je regardai le fusil de chasse, posé dans un coin, il avait eu son heure de gloire, et moi aussi, mais ce n'était sans doute pas fini, malgré les assurances de mes amis, d'assurer ma protection, la vieille pétoire me rassurait et je me demandai si il n'aurait pas été avisé de l'emporter, lors de mes déplacements à l'extérieur, même si les promenades en forêt, avec les malfaisants qui devaient se tapir alentour, me semblaient exclues. Malgré tout, même pour assurer ma sécurité et si l'idée m'était venue de raccourcir la crosse et le canon, comme je l'avais vu faire dans les films, la perspective de me balader avec un objet dans ce genre, me répugnait et me faisait plus peur que les "rôdeurs". Je renonçai à l'idée,  que je trouvais bien trop dangereuse, j'aurais pu blesser ou tuer quelqu'un par accident, me blesser moi-même et me faire arrêter pour port d'arme prohibée. Dans ce cas, il aurait fallu que j'explique ce que je faisais avec une arme de ce type. Un fusil de chasse à canon scié, ça laisse des doutes sur la moralité de la personne qui le détiens. J'aurais sûrement fini en prison au pire, au mieux, chez les dingues, dans une chambre capitonnée, quoique dans ces deux cas, il était difficile de différencier le "mieux" du "pire". Il me vint une autre idée, qui me fit sourire: dans mon jeune temps, je ne débrouillais pas mal au lance-pierre, même sans forfanterie, je pourrais dire que j'étais plutôt bon, je pouvais exploser une bouteille à quinze ou vingt mètres et le plus souvent du premier coup. La simple pensée que j'aurais pu affronter des ennemis extraterrestres à l'aide d'une arme aussi archaïque avait tout pour me séduire, quelque chose comme un défi un peu débile, germé dans mon cerveau malade, mais j'avais trop vu et fait de choses étranges ces derniers temps pour me formaliser de ce détail, aussitôt dit, aussitôt fait: En forêt, parmi le bois tombé et les arbres abattus par la tempête de l'année dernière, je choisis avec soin une branche de chêne suffisamment sèche avec une belle fourche en "U" bien équilibrée. Je saisis mon canif pour la tailler, et quand je fis sauter les premiers copeaux, cette simple vue fit remonter d'anciennes images. C'est étonnant parfois comme certains évènements, apparemment sans importance, peuvent s'enfouir au plus profond de votre mémoire, à tel point qu'ils semblent n'avoir jamais eu aucune existence, avoir appartenu à une autre vie, d'une autre personne. Jusqu'au moment ou un simple geste, un objet anodin, déclenchent le flux, d'abord à la ressemblance de clichés sépia un peu flous, puis la couleur se disperse comme de l'encre jetée dans l'eau et enfin, les contours se font plus nets, à la manière d'un objectif qui fait le point, lentement, les personnages, s'animent, viennent les sons, les voix familières et en dernier, les sensations. A ce moment, la lumière s'éteint, et le vieux projecteur super-huit du souvenir se remet à tourner.
Quelle période heureuse, est l'enfance, rêves et douceur, petites peines et grandes joies, curiosité et découvertes.  J'avais perdu mon père très tôt, mais dans la petite enfance, on ignore ce que cela veut dire, et j'ai été élevé par mes grand ‘parents, ma mère m'ayant un peu oublié, sans doute. Malgré cela, quel chaud cocon c'était. A l'époque, j'habitais à peine à dix kilomètres d'ici mais aussi proche de la forêt, que je le suis maintenant. La forêt... pour moi, elle marquait la limite du monde connu, dès que je m'y enfonçais, je devenais, explorateur, indien, chevalier en quête de dragon à pourfendre, en ce temps là nous étions moins exigeants, un bandeau de tissu, deux plumes de poulet, suffisaient pour tisser un canevas à mes chimères. En pensées, je peignais dessus, à fortes touches de couleurs, un univers à ma mesure qui me semblait immense. Je sais à présent qu'il est bien plus grand que je l'avais imaginé mais j'ai de nouveau des méchants à combattre, ce ne sont plus les troncs d'arbres ou les poules craintives, vers lesquels je rampais avec des ruses de sioux sur le sentier de la guerre. Ce n'est plus "pour de rire", l'idée pourtant reste la même, mon enfance n'est pas aussi morte que je le croyais, elle dormait seulement. Le petit Jipé s'est éveillé, il s'est frotté les yeux et m'a souri, il s'est accroupi pour me regarder tailler ma fronde, et me conseille: Non, doucement, n'entaille pas trop le bois, ça rendrait la fourche fragile, gratte le avec le tranchant du couteau pour le polir, enlever les aspérités, oui, comme ça...                                                                                                                       Pour l'élastique, j'ai branché Jo, le facteur, sa copine est infirmière, il à pu m'avoir du caoutchouc à garrots, il avait l'air un peu inquiet: tu veux faire quoi, avec ça? comme si j'avais voulu me planter une aiguille dans le bras!, j'ai voulu le rassurer; c'est pour faire un lance-pierre, ais-je répondu, il m'a regardé avec des yeux ronds, tu joues encore avec ça?, ben, oui, j'ai dit: y'a pas d'âge pour fabriquer un bon lance-pierre...Il à ri: Ca m'étonne pas de toi, t'as toujours eu des idées bizarres! J'ai pris l'air vexé, Quoi?, j'ai fait, avec sérieux, j'ai décidé de me lancer dans les sports extrêmes! il à ri de plus belle, il ne pouvait pas savoir que c'était vrai!  
C'était vraiment un beau lance-pierre, les élastiques solidement ligaturés, un morceau de cuir souple pour recevoir le projectile, il ne me restait plus qu'à l'essayer. J'avais récupéré des billes de roulement, juste à la bonne taille, lourdes et lisses, de jolies balles d'acier, mais pour essayer ma nouvelle arme, j'utilisai des cailloux, je gardais les véritables munitions pour un meilleur usage. Je posai une boîte de conserve vide sur une branche basse, à hauteur d'un tête d'homme et je commençai l'exercice, d'abord assez près, puis de plus en plus loin. Les débuts furent un peu décevants, mais petit à petit, je retrouvai mon ancienne adresse, petit Jipé m'encourageait de ses conseils et quand pour la première fois je fis voler la cible, il m'applaudit: Ouais! en plein dedans!, je passai pratiquement tout le week-end à m'entraîner, j'en avais mal au bras, mais l'obstination portait ses fruits. J'en conclus que le lance-pierre, c'est comme le vélo, ça ne s'oublie pas, j'avais retrouvé mes gestes d'antan, la souplesse, la sûreté, la précision m'étaient revenues et mon enfance aussi. Petit Jipé était fier de moi, et je l'étais aussi, pas qu'un peu: neuf coups au but sur dix à plus de vingt mètres, pour un gars qui n'avait plus fait ça depuis des décennies, c'était assez bien. Je ne résistai pas à l'envie de tenter un essai avec une bille d'acier: le résultat me stupéfia, la boite de métal valdingua à plusieurs mètres et fut enfoncée au point que les deux parois se touchaient, avec la force et le poids d'un tel projectile, je pouvais augmenter la distance de tir d'une bonne dizaine de mètres. Je me demandai si les "Rôdeurs" étaient dans le coin, à m'observer, s'ils étaient là, ils devaient se foutre de moi, mais j'étais pratiquement sur d'être seul, cela valait mieux. L'effet de surprise pouvait m'aider beaucoup, le moment venu, surtout que j'ignorais quel genre d'armes il avaient à leur disposition, si ça se trouve, je serai grillé comme une merguez avant d'avoir pu cligner de l'œil.
Je m'entraînais tous les soirs en rentrant du boulot, plusieurs jours s'étaient passés sans que rien ne bouge, mais je continuais avec assiduité à bousiller des boîtes de conserve et j'essayais de ne pas réfléchir à l'utilité de cet entraînement pour garder le moral de la troupe, la troupe de "moi tout-seul". Cette fin d'après-midi, je venais de déposer mon sac, je m'apprêtais à prendre une douche, quand j'entendis frapper furieusement à ma porte, non! me dis-je, tandis que mon cœur s'emballait, pas encore!, je n'avais pas fermé le volet, le jour déclinait, je me précipitai vers le placard de la cuisine, récupérer mon fusil mais en jetant un coup d'œil vers l'entrée, je reconnus à travers la vitre, le visage affolé qui me regardait: Alex! il me vit et se mit à crier: ouvre, Jipé, s'il te plaît, vite!, j'ouvris et il entra en trombe, aussi vite que s'il avait un besoin pressant d'aller aux toilettes, son visage était pâle, il semblait à la fois terrifié et dans une colère terrible, il ne me laissa pas le temps d'ouvrir la bouche pour lui demander ce qui se passait, il hurlait presque: Ils ont enlevé Mady! des salauds l'ont enlevée!, ses cheveux étaient en bataille, ses mains tremblaient, il sortit de sa poche un morceau de papier et me le tendit: Elle le savait! elle le savait! répéta t'il, je parvins à saisir la feuille de papier à lettre froissée, qu'il agitait frénétiquement, j'avais peur de comprendre: je lus, tandis qu’Alex me regardait d'un air implorant, il haletait bruyamment. Je reconnus l'écriture de petite fille appliquée, Mady avait écrit:  "Alexandre, les hommes, dont Jipé m'as parlé vont venir m'enlever, je dois m'éloigner pour ne pas qu'ils te prennent aussi, ils vont m'emmener au vieux refuge forestier de Peyrelongue et ils ne savent pas que je suis au courant, préviens Jipé mais n'en parle surtout pas à la police ni à personne d'autre" au dessous, elle avait rajouté, d'une écriture un peu plus tremblante: "prenez garde à vous". Elle avait "vu" ce qui allait se passer, sa précieuse faculté de prescience, nous donnait une longueur d'avance. Mais je ne voyais que vaguement le but des ravisseurs, ils voulaient surement faire pression sur moi pour que je leur livre les "Vimans", si c'était leur but, ils étaient stupides de croire que je pouvais le faire.
Je bouillonnais de colère, imaginant la gentille vieille dame dans le griffes des "Rôdeurs" Alex balbutia: qui sont ces types?, pourquoi ils ont fait ça? tu crois qu'ils vont lui faire du mal? J'avais une vague idée, mais je n'étais pas sûr, fallait que je lui raconte, je n'avais pas le choix et ça n'allait pas être simple.
Je fis asseoir Alex, c'était difficile, il ne tenait pas en place, gigotait sans arrêt, se tordait les mains en répétant d'une voix angoissée: mon Dieu! mon Dieu! Puis il se reprenait, serrait les poings de toutes ses forces et crachait avec une froide conviction: s'ils lui font du mal, je les tuerai tous! il sortit même de sa poche un gros révolver au métal terni, je reconnus un vieux 45 automatique qui devait dater du passage de l'armée américaine durant la dernière guerre, il le brandissait dans tous les sens: je les tuerai ces fumiers! tout des suite!  Je dus le prier de ranger son dangereux engin avant qu'il ne me colle un pruneau dans le crâne, ça aurait pu être gênant pour réfléchir.
J'essayai d'être bref, ce qui n'était pas évident, tout en racontant mon histoire, j'observais le visage d'Alex, qui passait d'une expression à l'autre, de l'étonnement à l'incrédulité, je dus le sermonner car il me coupait sans cesse pour me poser des questions dont je n'avais pas les réponses: ils viennent d'où? ils veulent quoi? ils ont un vaisseau? il est comment?. Il m'écouta donc sagement, se contentant de hocher la tête, l'épisode des spaghetti l'intéressa particulièrement mais il n'osa rien dire, j'essayai de faire court, je dus donc omettre pas mal de détails, puis lorsque j'ai eu terminé je me tu, guettant sa réaction. Je m'attendais à tout: qu'il me traite de dingue ou m'insulte, en fait il ne dit rien, assis sur sa chaise, légèrement penché en avant, il gardait les sourcils levés, la bouche ouverte, sur le moment, je me demandai s'il n'avait pas eu une attaque de paralysie.
Je regardai dehors, il faisait nuit, bon, dis-je, va falloir y aller, pour le plan de bataille on verra sur place, on va chercher Mady! A ces mots, Alex sortit de sa léthargie, il se leva d'un bond, comme s'il y avait un punaise sur sa chaise: d'accord, fit-il d'une voix ferme, on y va! et il rajouta: mais elle est complètement dingue, ton histoire! A ce moment précis, j'entendis la sonnerie du téléphone fixe, je décrochai, à l'autre bout, coassa une voix grinçante aux accents menaçants que je reconnus immédiatement: un des "Rôdeurs"! Nous avons votre amie, nous l'échangeons contre les "Vimans", le vieux seul, nous suffit, dites-leur, sa vie, la vie de l'humaine est entre leurs mains, leur stupide code ne leur permet pas de refuser! Je pris une voix affolée,  comme si je venais d'apprendre que mon amie était entre leurs griffes, mais je n'avais pas à me forcer beaucoup: Mais je ne sais pas ou ils sont!, bêlais-je, d'une voix plaintive, je dois attendre qu'ils reprennent contact!.... Nous vous rappellerons! dit simplement l'autre, et il raccrocha.
(à suivre... )

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