L'invité surprise (10)

Mes pulsations cardiaques s'accélérèrent d'un coup, c'était une soirée adrénaline à volonté, je ne perdis pas de temps à discuter, je poussai mes invités vers la chambre, ils se laissèrent faire, sans comprendre. Je vais vous cacher, dis-je à voix basse, ils se regardèrent, il avaient l'air de douter de ma santé mentale, mais je tirai sur un côté de l'étagère, qui pivota sans trop de mal, dévoilant le rectangle noir de l'ouverture, entrez là, intimai-je, faites gaffe, l'escalier est raide, vous voulez de la lumière? inutile, affirma le vieux, il effleura son machin blanc qui répandit immédiatement une lumière vive. Avant de descendre, il se tourna vers moi: vous êtes un humain plein de ressources, jipé, constata t'il avec un sourire, je ne répondis rien, ma ressource, c'était Mady. Dès qu'ils furent dans l'escalier, je refermai, vérifiai si le passage restait invisible, le poing rageur frappa encore contre le volet, j'éteignis la lumière dans la chambre et m'avançai en face de la porte, mon cerveau fonctionnait à toute vitesse et ça me faisait tout drôle, le manque d'habitude, sans doute. Je me précipitai vers le placard de la cuisine, en sortis le fusil chargé: ton heure est venue, lui dis-je, je promenai mon regard autour de moi et avisai l'angle du bureau ou se trouvait l'ordi, je m'y précipitai et posai l'arme debout dans le coin, contre le mur, je reculai, c'était parfait, depuis l'entrée elle n'était pas visible, on frappa encore, plus fort, cette fois, ouvrez! gronda une voix que je reconnus, nous savons qu'ils sont là! qu'est-ce que vous voulez! gueulai-je Police! mentit l'autre, nous cherchons deux individus qui sont chez vous! je jetai un dernier regard vers la cachette du fusil, mon palpitant s'excitait à cent à l'heure et je crois même beaucoup plus. J'ouvre! dis-je à voix assez forte pour être entendu et je débloquai le verrou du volet, ils s'étaient reculés pour laisser le battant s'ouvrir, c'était bien mes "aubergistes" mais ils ne souriaient plus, leur expression était glacée, leur yeux me fixaient avec ce qui ressemblait à de la haine, mais je ne vis pas d'arme dans leurs mains, je devais être trop négligeable pour les inquiéter, ou bien ils n'en avaient pas besoin. Je reculai comme pour les laisser entrer, ou comme si je les craignais, mais je n'avais plus peur, je me sentais froid et déterminé, ils entrèrent, regardant autour d'eux, j'en profitai pour me rapprocher, du fusil. Je ne comprends pas ce que me veut la police, dis-je, d'une voix ou je tentai de mettre une note de crainte, ils ne me répondirent pas, s'avançant vers les chambres. Je n'hésitai pas, je me penchai rapidement vers ma droite, m'emparai du fusil et le braquai sur eux en reculant vers le mur, mes pulsations cardiaques semblaient avoir ralenti, je me sentais soudain, étrangement calme, le plus petit vit mon geste et sursauta, il toucha l'épaule de l'autre qui se retourna et écarquilla les yeux, visiblement étonné, vous êtes fou! lança t'il, vous menacez des fonctionnaires de police!, je fus content de déceler une note de peur dans sa voix. Vous n'êtes pas des flics, dis-je doucement, l'heure légale est dépassée, il est deux heures du matin et vous n'avez rien à faire ici, montrez-moi une commission rogatoire, un papier officiel... Nous n'avons pas eu le temps! tenta un des pignoufs, ces individus menacent la sécurité de l'état! Ouais, dis-je sur le même ton calme, et vous vous menacez ma sécurité à moi, cassez-vous ou je décalque vos cervelles de connards sur le mur! J'aimais bien cette formule, elle m'était venue toute seule, j'en étais assez fier: c'est important une phrase percutante dans de telles conditions.
Je sentis un flottement dans les rangs de l'ennemi, le doigt sur la gâchette me démangeait et ça devait se voir, le paisible Jipé, le pauvre type dans son trou paumé, était devenu un tueur assoiffé de sang, du moins le croyaient-ils. Le plus grand des deux fumiers reprit la parole, sa voix était moins assurée qu'elle aurait dû: D'accord, fit-il en regardant le double tube d'acier qui le braquait, on regarde et on s'en va, c'est bon comme ça? Si je n'était inquiet de salir les murs, je crois que j'aurais plombé sa face de faux-jeton, Ok, j'ai dit, avec le moins d'émotion possible, tu regardes et tu te casses, si tu insistes je t'explose ta gueule de faux-derche, ça m'emmerdera pas plus que de pisser contre un arbre...
C'est bon, fit l'autre, ne vous énervez pas. Chuis pas nerveux, j'ai rétorqué, allez-y, regardez, si je vois un flingue ou un truc qui y ressemble, je fais de la Bolognaise avec vos têtes, ça vous va? Ils ne répondirent pas, s'avancèrent vers les chambres, je les suivis, fusil braqué sur leurs visages, guettant ce qu'ils faisaient de leurs mains, l'un des deux souleva mon matelas, ils s'attardaient, visiblement déçus, mais ils avaient beau regarder, cette maison était aussi vide que leurs crânes de blaireaux, je ne flippais pas du tout, je me demandais juste si j'avais pensé à acheter une serpillère neuve pour nettoyer la cervelle et le résiné sur les murs au cas ou ils se seraient crus malins, peut-être que je devrais refaire la peinture, c'est vrai qu'elle en avait besoin...
Ils ne se sont pas crus malins, ils ont admis leur échec: C'est bon, on s'en va! à dit le plus petit, après avoir visité la salle de bains, baissez votre arme! C'est ça, me suis-je entendu répondre, continuez à me prendre pour une bille! j'ai une crampe au doigt, tirez-vous vite fait! Ils sortirent un peu plus précipitamment que ne l'aurait exigé la dignité, sur le seuil, l'un d'eux se retourna et me lança: Nous reviendrons, et vous ne pourrez rien faire, les Vimans sont à nous, nous en avons besoin! Un brouillard rouge passa devant mes yeux et je dus me faire violence pour ne pas lui lâcher une bordée de chevrotines, ils durent le sentir car ils détalèrent rapidement et se perdirent dans la nuit.
Je scrutai l'ombre, avant de refermer, j'étais certain qu'ils continuaient à traîner aux alentours, les "Rôdeurs", l'horrible convoitise que j'avais lu dans leurs regards, m'avait donné un instant l'envie d'en finir de suite et d'effacer leurs rictus de haine et de mépris mais la conscience du mal avait été la plus forte en moi, c'est un peu dommage, mais je ne suis pas un assassin, d'une certaine manière, c'est un constat réconfortant.
Les "Vimans", c'est ainsi qu'ils avaient appelé Zeb et le Prof, je déssèrai lentement mes doigts autour de la crosse, mon index se décrispa sur la gâchette, je réalisai seulement que j'avais failli tuer deux hommes, ou du moins ce qui y ressemblait, que je l'aie fait ou pas, je ne ressentais aucun remord, si je devais le faire, je le ferais, on ne touchait pas à mes hôtes, c'était comme ça...Les "Vimans", ça me faisait tout bizarre, de les appeler par ce nom, ils m'avaient traité avec respect, moi, petit humain de rien du tout, et rien que pour cela, je me sentais prêt à donner ma pauvre vie, c'était étrange à concevoir et j'acquis la conviction que le dernier des ploucs peut devenir un héros pour peu qu'on lui en donne l'occasion et les motivations, c'était si simple, presque attirant, mourir pour une bonne cause, pour des amis...Putain, c'est le choc, voilà que je délire...
J'attendis un bon moment avant de retourner dans la chambre ou se trouvait l'entrée de la cave, je guettais le silence, rien ne bougeait plus. Comme j'aimais cette bonne Mady, elle nous avait sauvé la vie, que se serait-il passé, s'ils les avaient trouvés, le foutu galet blanc du vieux déchargé, moi, avec ma pétoire en retard de quelque siècles sur leur technologie? Non, y'a pas à réfléchir, je les aurais explosés, ces salopards de suceurs de cervelle! sur le moment, j'avais pas plus de cerveau qu'un rugbyman qui fonce à la mêlée, ça aide parfois, d'oublier l'humanisme, la poésie et l'aquarelle pour se transformer en pure brute, le tout, c'est de ne pas le rester. Merde! ils m'avaient chauffé le sang, ces pourris, je me serai presque cru dans un western, j'étais gorgé d'adrénaline et je n'arrivais plus à redescendre au niveau du sol... Respire, Jipé, respire lentement, tu te calmes et tu poses ce flingue sinon tu vas bousiller un truc dans la baraque, faire un trou dans le plafond, péter une fenêtre, inspirer, expirer, inspirer, expirer, on ne tue plus personne.... Saloperie! je vais les crever!.. Chhht! doooucement petit Jipé, gentil garçon, il se calme... Ouf! ça va un peu mieux. Faut que je voie mes deux aliens, toujours au frais dans la cave, l'air de rien, depuis un certain temps, je mène une vie d'une rare intensité, et je vais vous dire un truc: on s'y habitue très bien, du moment que ce n'est pas pour du pognon ou du boulot, j'aime bien faire des trucs de barge...
Ils me regardèrent descendre l'escalier, l'air vaguement inquiet, le Zeb était vautré sur les coussins, les mains derrière la tête, le vieux, assis en tailleur, genre un bouddha d'outre-espace, qu'aurait vachement perdu du poids. Ils sont partis, dis-je, mais ils ne doivent pas être si loin que ça...Nous vous avons entendu, dit le vieux en se relevant, comme Zeb restait écroulé il lui à lancé son regard-banquise, l'autre s'est redressé promptement, vous-vous êtes bien comporté me flatta papy, peu de gens, sans doute, auraient pris autant de risques pour des étrangers, qui plus est étrangers à votre race... Vous rigolez! m'exclamai-je, vous êtes mes invités, l'hospitalité, pour moi, c'est sacré! Ils étaient quasiment au garde-à-vous, j'avais l'impression de faire un discours électoral. Oui, l'hospitalité, bien sûr... fit le vieux avec l'air de se souvenir d'un vieux truc, lu dans un grimoire poussiéreux et vous les avez menacés avec une de ces armes à poudre noire... Oui, j'ai fait, et avec des gros plombs dedans, "Rôdeurs" ou pas, ils faisaient les malins, je les hachais menu...Je me sentais remonter en tension, respiiire, respiiire. Et dans un élan qui me surprit, le prof me prit les mains et les serra avec effusion dans les siennes; nous vous revaudront ça, dit il, avec un sérieux bien moins hautain que d'habitude, et je pense qu'il le faudra bientôt, ajouta t'il, vous-vous êtes mis en danger pour nous, ils vous ont marqué, à présent...Sur le coup, j'ai rien compris, marqué? ais-je répété comme un perroquet, oui, à continué le prof, maintenant ils ont votre empreinte génétique et pour eux, c'est comme un traceur électronique, ils peuvent vous retrouver facilement, sur une surface de plusieurs kilomètres et ensuite vous suivre à la trace, pour l'instant, ils n'en ont pas besoin, mais le cas échéant, vous serez en grand péril...Ah, d'accord, j'ai fait, un peu abasourdi, mais en fait, plus grand-chose ne m'étonnait, à présent, et de toute manière, je n'avais pas de projets d'avenir, seulement celui de partir un ou deux mois au chaud, quand l'hiver commencerait à me mordre les doigts. Zeb s'avança vers moi, faut qu'on y aille, dit-il, mais on gardera un œil sur toi, au cas ou, les Rôdeurs ne peuvent plus rien contre nous pour l'instant, mais ils sont doués pour monter des plans tordus, nous sommes en guerre, en quelque sorte...Le vieux, regarda son galet blanc, le toucha du doigt, c'est bon, affirma-t'il, nous avons la puissance nécessaire à présent, soyez prudent, nous ne pouvons vous laisser aucun moyen de vous défendre, vous devrez vous contenter de votre arme à poudre, je pense que pour le moment vous ne risquez plus rien, mais soyez quand même prudent, et n'oubliez pas que nous veillons sur vous, à bientôt, mon ami...Il effleura son machin et ils disparurent d'un coup.
Je restai là à regarder dans le vide, à peine surpris, le vieux m'avait appelé: "mon ami", venant de l'ancêtre, venant de ce gars qui avait plus vu et appris de choses que je ne pourrai jamais en contempler et en comprendre même si je devais vivre mille vies, cela me touchait énormément. Je commençais à vraiment m'attacher à mes "invités surprise", j'avais du mal à comprendre comment les gens qui avaient la chance de les voir, ne serait-ce que quelques instants, pouvaient avoir peur d'eux, mais il est vrai que chez nous, être "différent" engendre chez les autres, l'incompréhension, la peur, ou bien la haine, ce ne sont pas des émotions propices à une pensée rationnelle.
(à suivre...)

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