L'invité surprise (4)

Dis-moi, le Zeb, une assiette de spaghetti, ça te dirait ?; il jeta un coup d’œil craintif vers la porte: t'es sympa Jipé, mais je crois qu'il vaut mieux ne pas y penser, je suis sûr qu'ils me surveillent... T'as l'air de drôlement flipper, remarquai-je, t'es garé en double file, ou t'as peur qu'on te fauches tes jantes alu?, mes quoi? il fait, l'air ahuri, c'est quoi, des jantes? Je lui explique, il sourit, non, pas de problèmes, personne ne peut voir mon véhicule, qu'est-ce que tu crois?, je peux complètement l'occulter et même le faire disparaître à la détection de vos radars primi... pas assez perfectionnés, on ne peut nous voir que si on à envie d'être vus, histoire de rigoler. Ah bon, je fais, je vous croyais pas si taquins, des extraterrestres farceurs, qui l'aurait cru? Ben, si, pourquoi? on est pas si coincés que t'as l'air de le croire, sauf que là, je suis mandaté de manière officielle, je suis en mission, quoi, la déconne, c'est un peu exclu. Comme il à l'air un peu plus disposé aux confidences, je lui demande: mais ils me veulent quoi, exactement? m'inviter à un talk show, style: et maintenant, voici notre invité du jour: Jipe, il est originaire de la terre, Jipe, ce n'est pas trop dur, de vivre sur une planète aussi arriérée, faire du feu avec des cailloux, chasser votre bouffe en lui jetant des bouts de bois pointus?  Je commençais à bien apprécier son rire de Yorkshire speedé et là il m'en à servi un bien franc: t'es un marrant, toi, nous on est quand même un peu amateurs dans le genre, faudrait que tu nous donne des cours, ça peut servir!  là j'ai ri aussi: je ne suis pas sûr d'être un expert, chez moi, on dit que je suis un rigolo, plutôt qu'un marrant, le sens n'est pas le même! mais crois-moi, sur terre, le sens de l'humour n'est pas si répandu que ça, y'en à même qui rigolent seulement quand ils se font tomber une enclume sur les pieds! il n'a pas ri, je crois qu'il n'a pas saisi du tout, mais il n'à rien dit, il à juste toussoté: bon, il faut que je m'en aille, mais te bile pas tout ira bien, et le périmètre sera plus sécurisé que les toilettes de la reine d'Angleterre, ça ne risque rien, t'essaie d'être poli et tu ne parles que si il t'interroges, ce qu'il fera, tu peux en être sûr. Je suis resté sur le pas de la porte, pour voir si il y avait un vol de soucoupe ou de je ne sais quoi d'inhabituel mais je n'ai rien vu du tout, et il n'avait pas répondu à ma question: ils me veulent quoi?
Deux ou trois semaines sans évènement marquant ce sont écoulées et puis un soir, après ma douche, je suis allé allumer mon PC et j'ai trouvé, posée sur le clavier, une sorte de fine feuille translucide qui semblait faite de matière plastique, sur laquelle était imprimé un texte qui disait: "Dans la nuit de Jeudi à Vendredi, tu ne prévois rien" et au-dessous: "signé Zeb", j'ai souri en lisant le "signé Zeb", j'examinais cette feuille étrangement malléable, quand, d'un seul coup, elle à disparu, sans chaleur ni rien, sans laisser aucune trace sur mes doigts, juste un très léger volute de fumée ou de vapeur, blanche. Ouah! je me suis dit, faut pas traîner pour lire courrier avec ces gars-là! et au même instant j'ai compris que le Zeb frappait à ma porte, seulement par politesse et qu'il aurait pu aussi bien entrer sans me demander la permission. Bien, pensais-je, me voilà parti pour une autre rencontre du troisième type, ça commençait à devenir une habitude, j'étais un peu inquiet, mais pas plus que si je devais avoir un entretien d'embauche pour entrer au service de la voirie municipale. Finalement, ça pouvait être intéressant, voire marrant. J'étais toujours un peu angoissé en prenant l'avion et pourtant, entre percuter le sol à neuf cent kilomètres à l'heure et recevoir du monde, il y avait une marge, alors pourquoi m'inquiéter ?                                                                                                         Comme mon logement devenait un spot à aliens, j'ai pensé qu'un peu de ménage ne serait pas du luxe, autant faire un bonne impression, en plus d'être un "primitif", je ne voulais pas être considéré comme un gros dégoûtant. Tout en passant la serpillère sur le sol, je me rendais compte que je savais déjà plus de choses sur les fameux "petits hommes gris" que la plupart des gens, n'en avaient jamais su depuis des siècles, quand cette pensée traversa mon esprit, j'eus comme un vertige. Et dire que même si j'en avais parlé, ce qui était hors de question, j'avais donné ma parole, de plus, on m'aurait pris pour un mythomane. Et si la vie était ainsi, aussi étrange et imprévisible, quand l'inimaginable devenait une routine qu'en était-il de la mort? pour moi, elle n'était que la fin de tout, mais ce qui se passait dans mon existence me poussait à remettre en question des certitudes qui n'en étaient plus, j'en vins à l'idée qu'avoir des convictions, était comme se balader en portant une bombe à retardement qui risquait un jour de vous péter à la figure! Décidément je commençais à me poser trop de questions, cela devenait fatiguant, je n'étais pas habitué... Au boulot, j'étais pensif et silencieux, mes collègues se demandèrent si je n'étais pas malade, l'un d'eux me lança même: Oh Jipe, qu'est-ce que t'as, t'es amoureux ou quoi? Tiens, il n'aurait plus manqué que ça!. Je n'ai rien dit mais seulement pensé: Non j'organise seulement un congrès d'aliens, je me demandais si je dois préparer des amuse-gueules!  Et eux, au moins, ils ne s'installeront pas chez moi... quoi que, après réflexion, je n'en savais rien, si ça se trouve, ils me diraient: Bon, on à décidé de construire une base secrète à trente mètres de profondeur, sous ton plancher, alors si tu moufte, on te vaporise!                  La veille du jour J, j'ai raconté l’air de rien, à toutes les personnes susceptibles de se pointer chez moi, (et il n'y en à pas des masses, avec mon caractère de chiottes) que je serai absent, une précaution, sans doute superflue, au cas ou. Zeb m'avait prévenu que ce serait "sécurisé", j'ignorais ce qu'il avait voulu dire, cela laissait place à toutes les conjectures: un bataillon de forces spéciales extraterrestre?, un genre de champ de force, un répulsif à humains? et puis, la barbe! après tout on s'en foutait.
Et la fameuse nuit est arrivée, j'étais un peu nerveux, je dois l'avouer, je me livrais à diverses occupations, histoire de passer le temps, je fis la vaisselle, rangeai mes bouquins, arrosai le cactus stoïque qui trônait sur un coin du bureau, le cactus est une plante étonnante, vous pouvez l'oublier, sans l'abreuver, ni lui prêter la moindre attention, le laisser des semaines dans sa solitude têtue, sans qu'il ne s'en formalise le moins du monde, il pousse, survit, opiniâtre dans sa lenteur patiente, son admirable frugalité. J'ai eu des tas de plantes, qui n'ont pas survécu à mes absences prolongées ou à mes périodes d'oubli, un beau jour, je les ai retrouvées, misérables, agonisantes, mortes déjà, d'un flagrant manque d'amour et d'attention, me laissant seul et éploré, rongé par une terrible culpabilité. Le cactus, lui, est patient et sans rancune, il est admirablement taillé pour la survie, il n'est pas affectueux, plutôt distant même, pas caressant pour un sou et c'est exactement ce que j'attends d'un représentant du règne végétal résidant à mes côtés. d'ailleurs, en dehors de quelques discrètes araignées, il est le seul être vivant qui m'accepte à demeure...
Il était presque trois heures du matin et rien ne s'était passé, je commençais à me dire qu'ils ne viendraient plus, la fatigue me gagnait, lourde et insidieuse, je décidai d'aller me laver les dents, si personne ne se présentait dans une demi-heure, j'irai me coucher, peut-être s'étaient-ils dits que ça n'en valait pas le coup, j'avais toujours cette sensation de rêver éveillé, l'improbable et l'impossible s'accrochaient à mes basques avec la hargne d'un roquet agressif, je ne pensais plus qu'à dormir, oublier tout ça, revenir à la normale dans mon petit univers bien ordonné ou plutôt, rationnellement désordonné.
Trois coups frappés au volet me firent sursauter, je me rinçai rapidement la bouche, fonçai vers la porte, que j'ouvris: deux petits bonshommes gris sont entrés, adieu le rationnel, bonjour le délire. L'un des deux gars m'a fait un timide sourire, c'était Zeb, l'autre paraissait beaucoup plus vieux, plus petit, un peu fripé, un faux air de tête réduite Jivaro, il m'a toisé d'un regard froid et je n'ai pas aimé ça, si il pensait m'impressionner, le vieux croûton, c'était râpé. Faux-cul comme pas deux, je me suis incliné avec une apparence de respect et j'ai dit, sans sourire: bienvenue dans mon modeste et rudimentaire logis, votre Excellence... Derrière le vieux, Zeb roulait des yeux affolés, le vioque ne broncha pas, il ouvrit seulement sa petite bouche et dit, d'un filet de voix un peu nasillard: je vous remercie, mais je ne suis pas un plénipotentiaire représentant une nation, je suis seulement un scientifique... Ah, bon, votre grâce, dis-je, je m'excuse... dans son dos, le Zeb s'affolait, les yeux allaient lui sortir de la tête, il faisait non de la tête, mais le vieux ne se fâcha pas, il poursuivit: Notre ami, ici présent, m'avait prévenu que vous aimiez faire de l'humour, quel est le nom que vous lui avez donné?...Zob? J'ai failli éclater de rire, mais je me suis maîtrisé à temps, j'ai répondu:  je l'appelle Zeb, monsieur... Bien, bien, fit-il, raide comme un piquet, pouvons-nous nous asseoir?, c'est une coutume, chez vous, me semble t'il? j'avais décidé de freiner un peu sur les blagues, juste un peu, sinon Zeb allait me faire une attaque. J'avançai deux chaises, papy posa ses petites fesses sur l'une d'entre elles avec autant de précautions que si c'était une mine antipersonnel, dans un autre style, Zeb se laissa tomber un peu trop lourdement sur l'autre siège, qui craqua, il eut droit à une œillade qui aurait du le congeler instantanément et se redressa vivement, comme un gamin pris en faute, les mains sur les genoux, le cou raide, regardant droit devant lui, je les trouvais marrants, tous les deux, on aurait cru un sketch de Jerry Lewis, je m'assis sur la troisième et dernière chaise, je n'osai pas proposer du thé et ce n'était pas trop l'heure pour du pinard...
Je ne l'avais pas noté sur le moment, mais le vieux n'était pas à poil, il portait une espèce de pantacourt collant, d'une nuance un peu plus foncée que sa peau et une ceinture sans boucle ou se trouvait accroché un objet oblong, ressemblant à un galet blanc. Ca ne devait pas servir à battre les œufs en neige, ce truc. Sa Majesté suivit mon regard, il posa sa main sur l'objet, j'essayai de rester impassible. N'ayez aucune inquiétude, dit-il, ce n'est pas une arme, du moins pas au sens ou vous l'entendez, cet objet à bien d'autres fonctions... je crus voir passer une lueur amusée dans son regard, il aimait bien impressionner, ce gars. il plissa ses fines lèvres, ce qui accentua leurs rides et s'adressa à moi sur le ton d'un professeur qui explique un concept complexe à un élève un peu borné: La première fois que j'ai approché un de vos congénères, c'était il y à assez longtemps, il était vêtu de peaux d'animaux, assez grossièrement cousues ensemble et dégageait une odeur très forte, sa réaction à été de se jeter à plat ventre et de supplier ses dieux de l'épargner, comme vous pouvez l'imaginer, la conversation fut assez brève... Vous faites pas votre âge, dis-je, le vieux eut un sourire léger qui ressemblait à une grimace et continua: la deuxième et dernière fois se passait durant une période que vous désignez sous le terme de: "moyen âge", c'était un paysan, visiblement très fruste et sale, il s'est enfui en hurlant que j'étais le diable et j'ai du quitter les lieux, car il avait rameuté ses semblables avec l'intention de me faire un mauvais sort... là je ne dis rien, je commençais à comprendre ou il voulait en venir. Il fit un bruit de Teckel qui ressemblait à hum! hum! je vois que vous suivez, fit-il, donc j'étudie votre espèce depuis un certain temps, je sais presque tout ce qu'il faut savoir à son sujet, mais j'étais très curieux d'approcher un être humain à cette période de son évolution... il fit une légère pause et j'en profitai: oui, forcément, lui dis-je en le regardant en face, en quelque millénaires, la conversation n'a pas été très  enrichissante, d'un point de vue intellectuel, mais je ne suis pas sûr que ça va s'améliorer avec moi... Ah, monsieur Bijé... je le coupai: jipé, monsieur, on m'appelle Jipé. Décidément il avait des problèmes avec les noms. Monsieur Jipé, se reprit-il, pardonnez-moi, mais oui, effectivement, l'incartade de notre ami Zeb est parvenue à mes oreilles (qu'il avait fort petites) et j'ai vu là une occasion de réitérer cette expérience, apparemment il avait raison, vous ne fuyez pas en hurlant et vous avez un sens très vif de la répartie, cela me ravit et donne du sel, vous dites comme cela n'est-ce pas? et cela donne du sel à notre rencontre, de plus vous semblez être une personne de parole, inutile de vous rappeler la nécessaire confidentialité de nos entretiens...Il fixa ses yeux noirs sur moi avec intensité: n'est-ce pas? ajouta t'il après deux secondes de pause. Je ne sus dire si il y avait une menace voilée dans ce "n'est-ce pas?". Je me redressai, un peu piqué au vif: Écoutez, monsieur, lui dis-je, un ton plus haut que je n'aurai du, non seulement, je n'ai aucune envie de divulguer quoi que ce soit, mais j'ai promis à Zeb de n'en rien faire, de plus, j'ai beaucoup d'estime pour lui et même de l'amitié... le susnommé m'adressa un sourire flatté et je poursuivis: et contrairement à ce que vous avez l'air de penser, il nous arrive d'avoir le sens de l'honneur, même si cela est moins fréquent que je le voudrais, vous connaissez la signification de ce mot?
(à suivre..)

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