L'invité surprise (9)

J'étais vraiment heureux pour ma vieille, et si jeune copine, le gars Alex me semblait quelqu'un de vraiment sympa et leur joie faisait plaisir à voir, plus que jamais, je trouvais de la magie dans ce monde. J'avais dans ma tête l'image d'une meute de fous essayant sans cesse de construire d'improbables palais avec des blocs de charbon qui croulaient sans cesse, et au milieu de cette cohue, quelques uns seulement, qui regardent voler dans le ciel bleu ces papillons d'origami multicolores, dont sont faits les rêves. Ouais, c'est vrai, quelque part, j'avais des visions moi aussi mais je ne savais pas de quoi, je préférais ça, voir le futur m'aurait drôlement pourri la vie...  Alex et Mady ne volaient rien à personne pour construire des utopies mourantes et orgueilleuses, destinées à la fosse commune, ils ne prenaient qu'à eux-mêmes, et je leur étais reconnaissant de me faire partager un peu de ce bonheur, ils l'avaient payé au prix fort, mais pas au-dessus de sa valeur, aucune monnaie, aucun métal précieux, ne pouvait acheter ce qu'ils vivaient à présent. On aurait pu croire leurs vies presque finies, moi, il me semblait qu'elles commençaient seulement...
A regrets, je dus reprendre le cours de ma vie, les jours coulèrent sans bruit, nourris du quotidien et d'une inquiétude grandissante. Le soir, je sursautais au moindre bruit, je guettais la nuit, je croyais voir des formes imprécises m'espionnant dans l'ombre et je n'avais pas de nouvelles de mes touristes, j'eus l'espoir qu'ils avaient renoncé à revenir, que leur vie mystérieuse continuait quelque part dans les étoiles. Je me baladais parfois autour de la maison, dans la forêt, l'air de chercher des champignons, d'ailleurs, alors que l'automne n'était pas encore là, je trouvai quelque beaux cèpes, savoureux et odorants, il y avait eu quelque jours de pluie abondante, suivie d'un beau soleil, le nirvana pour des champignons, de quoi doper la vie secrète des mycéliums. Il n'en restait pas moins que mes potes les "Martiens" n'avaient pas été aussi indétectables qu'ils le croyaient et ils étaient à présent devenus des objets de convoitise pour cette force menaçante que je sentais parfois tout autour de moi. Ces pensées trottaient dans ma tête et accroissaient ma nervosité, pire, encore, un jour, en forêt, non loin de chez moi, je croisai un couple, un peu trop déguisés en bureaucrates pour être des randonneurs, je les avait repérés de loin, au bout du chemin, mais je continuai, sans me troubler, à jouer mon rôle de chercheur de champignons, les yeux baissés sur les mousses humides et les aiguilles de pin. Arrivant à ma hauteur, ils me saluèrent et je fis semblant de les voir pour la première fois, le type était encore un grand costaud aux cheveux courts, il n'était pas en costard mais sa tenue "décontractée" style: "laissons là la voiture, chérie, et faisons quelque pas en forêt" ne me leurra pas, la femme était une grande bringue sèche et brune vêtue d'un tailleur sombre, ils étaient pâlichons tous les deux comme s'ils passaient leur vie dans un bureau sans fenêtres. vous trouvez des champignons? fit l'homme en lorgnant le sachet en plastique que je tenais et ou deux cèpes de bonne taille se tenaient compagnie. je leur rendis leur salut avec un air affable et détendu si bien imité qu'il aurait pu me valoir un Oscar: Oui, j'ai fait avec un sourire de présentateur de jeu télé, ce n'est pas trop la saison, mais il à bien plu, ensuite le soleil à chauffé le sol, c'est excellent pour leur donner envie de pousser! La femme souriait et on aurait dit que cela lui faisait mal aux joues: c'est dommage, fit-elle, nous n'avons pas pensé à prendre quelque chose, au cas ou nous en trouverions... Pas de problème, assurai-je, en sortant un second sachet plastique de ma poche de blouson et le leur tendant. Oh, c'est très aimable, merci! fit le type en s'en emparant, vous nous sauvez la vie!, la femme eut un petit rire douloureux qui me fit penser qu'elle avait du être opérée du larynx, récemment ou bien que la rigolade ne faisait pas partie de son quotidien. Jugeant qu'il était temps de prendre congé des deux thanatopracteurs en vadrouille, je crus bon de les conseiller: vous verrez, à la poêle, avec une persillade, c'est délicieux! puis je leur balançai une formule de politesse et tournai les talons. Au bout de quelque pas, je me retournai, mon cœur sauta dans ma poitrine: ils étaient arrêtés au milieu du chemin et me regardaient, le visage figé, hostile! Voyant cela, ils plaquèrent instantanément sur leurs visages de zombies des sourires de mannequin de cire, je leur fis un signe de la main qu'ils me rendirent et, l'air le plus naturellement du monde, ou presque, se mirent à faire semblant de chercher les délicieux bolets à la manière de gens qui ont perdu leurs clés de bagnole...
De retour chez moi, l'inquiétude avait laissé place à la colère, ils commençaient à me courir, ces ploucs, ils continuaient à me prendre pour une truffe et ça m'énervait, si ils pensaient que ça allait être facile, ils se gouraient, en général, je ne joue jamais au plus con, face à certains, c'est un jeu ou on peut être sûr de perdre, mais au moins, je pouvais entrer en compétition, tout le monde le peut, il suffit d'être vindicatif et d'arrêter de réfléchir. Avec ma table pliante pas très stable et une chaise posée dessus, je fis un échafaudage casse-gueule qui me permit d'accéder à la trappe du grenier, je risquais de me briser un membre ou plusieurs mais la colère bouillait en moi et je n'avais pas envie de penser à autre chose. Un jour, j'avais voulu poser de la laine de verre dans les combles étroits situés entre la toiture et le plafond, ce n'était pas un vrai grenier mais le vieux à l'alambic y avait entreposé des cartons de vieille vaisselle ébréchée, d'ustensiles de cuisine cabossés et, dans une cantine métallique rouillée, emballé dans du papier huilé et de la toile cirée, j'avais trouvé un vieux fusil de chasse sorti des usines de la "Manufacture des armes et cycles de St Etienne", accompagné de quelque boîtes de cartouches chargées de chevrotines grosses comme des pois chiches.
Un peu tremblant après avoir failli dégringoler de ma fragile construction, je déballai le fusil, il était toujours en parfait état,  je l'avais laissé là-haut par aversion pour les armes à feu et je préférais le savoir loin de moi, ainsi, il avait attendu son heure plusieurs années, patiemment, comme s'il avait su que je le réveillerait un jour, et ce jour était venu, je me souvenais des vaines tentatives de mon grand' père pour m'apprendre la chasse, il aurait été surpris. Avec un peu de répugnance, je remboîtai la crosse et les canons, fis jouer les percuteurs à l'aide de la double gâchette, vérifiai l'interieur du canon et le nettoyai à l'aide d'une baguette et d'un bout de chiffon imbibé d'huile, je déposai également quelque gouttes de lubrifiant sur le mécanisme des chiens, et pour finir, glissai avec un peu d'appréhension, deux lourdes cartouches dans les chambres, le léger "plop" caractéristique de leur chute dans les logements fis passer un frisson glacé dans mon dos. Je n'aimais pas les armes, ce n'étaient que des objets à donner la mort, fascinants et terribles, la pire expression de l'inventivité des hommes, l'image de leur goût pour la violence et leur non-respect de la vie. j'étais acculé à un choix terrible, le poids de l'arme, son contact froid, son odeur, semblaient accentuer ma colère et c'était bien là l'aspect le plus terrifiant d'une arme à feu. Je décidai de planquer mon artillerie dans le placard de la cuisine pour l'instant, et après en avoir refermé les portes, je savais que dès à présent, je le regarderais comme si il abritait un tueur assoupi.
C'est ainsi, que chaque jour, quand mon regard effleurait ce placard ou, pire encore, quand je devais l'ouvrir pour y prendre une casserole ou un paquet de sacs poubelle, j'avais toujours la crainte que quelque chose ne me saute au visage avec un bruit terrible, un moment, j'avais songé le remettre au grenier, le rendormir à jamais, m'en débarrasser et l'oublier, mais j'avais des amis à protéger, rien ni personne ne leur ferait du mal chez moi et la force de cette détermination me faisait peur, j'avais déterré dans ma propre âme, un visage de l'humain que depuis toujours, je détestais chez les autres et je me rassurais en me disant que la cause était bonne, l'était-elle, au moins?
Et tout se précipita, cela commença par un mot laconique sur une feuille translucide qui disparut sans laisser de traces, la routine: "Demain soir, signé Zeb", la nuit fut chaotique, pleine de cauchemars sans nom, de réveils sans raison et la journée si catastrophique que je dus jeter l'éponge, laisser là le boulot sur lequel je n'arrivais pas à me concentrer et rentrer chez moi, je lançai un bref regard vers la cuisine, le monstre était tapi là, derrière les portes de bois, anodines, à la peinture un peu écaillée, il ne dormait plus, il attendait...
J'étais devant mon ordi, je me détendais en regardant un épisode de "Dexter" et tout d'un coup, j'ai senti une présence, j'ai tourné la tête un peu trop brusquement et j'ai reçu une décharge d'adrénaline directement dans le cerveau: Zeb et le "vieux" étaient là, sans frapper, ni ouvrir la porte, ils étaient juste là, la surprise c'est normal, quand des aliens apparaissent dans votre appartement, sortis de nulle part, même si vous les connaissez, ça surprend. Le Prof s'inclina légèrement pour me saluer: Nous sommes désolés d'être entrés de cette manière, dit-il de sa voix un peu nasillarde, mais nous avons du être discrets, il y avait des gens, non loin de chez vous... Je les saluai à mon tour, ses paroles m'avaient alarmé: Je suis très content de vous voir, dis-je, mais je crois que vous allez être obligés de disparaître dans l'autre sens, ces gens, dehors, en ont après vous...Il s'ensuivit un court conciliabule dans leur langue et  Zeb me demanda: comment sais-tu qu'ils nous veulent du mal? j'ai mes sources, répondis-je, pas peu fier de faire le malin, cela fait un bout de temps qu'ils rôdent autour de chez moi, ils m'ont même parlé en se faisant passer pour des promeneurs, mais faudra qu'ils se lèvent un peu plus tôt pour me baiser! zeb sourit, à ces mots, mais le vieux se rembrunit encore plus, on eût dit une momie d'alien avec des yeux en verre noir: nous ne pouvons pas repartir de suite, dit il lentement, ce mode de déplacement, demande beaucoup d'énergie, et cet objet; il montra le galet blanc à sa ceinture; à besoin d'un certain temps pour se recharger...Il reprit sur un ton plus curieux, presque inquisiteur, le scientifique en lui poussait sa cornue: Mais, réellement, comment savez-vous que ces gens, si gens il y à, ont des intentions malveillantes à notre égard? Je pris l'air du gars à la coule, le type important, qui sait des trucs: J'ai une amie, répondis-je, qui peut voir des choses, parfois un peu l'avenir, parfois des choses cachées et c'est ce qu'elle à vu à propos de ces types... Le prof quitta sa rigidité habituelle pour bouger, se frotter les mains, il frétillait comme un gardon, on sentait que ça l'intéressait: Vous voulez dire... euh...ce que vous appelez une voyante? c'est cela? Oui mon bon monsieur, affirmai-je, content de lui montrer que nous n'étions pas si nuls. Il se frottait encore les mains et souriait aussi béatement qu'il en était capable: oh, ceci est passionnant, tout bonnement passionnant, pourquoi ai-je attendu si longtemps avant de rencontrer de nouveau des humains? puis il se figea d'un coup reprenant son sérieux habituel comme si une pensée plus grave était venue parasiter sa joie: vous dites que ces gens nous cherchent? savez-vous qui ils sont? Sur ce sujet je fis moins le mariole: j'en savais peu. Non, dis-je, de grands types, sans doute un bonne femme aussi, plutôt pâles, vêtus de sombre, je ne... je me tus quand il se tourna vers son compagnon pour lui parler dans sa langue sifflante et clapotante, Zeb l'écouta un instant, puis reporta son regard sur moi, il me sembla inquiet: dans votre langue, le mot approchant est "Rôdeurs", c'est ainsi que nous les appelons, ce ne sont pas des terriens, nous ne savons pas d'ou ils viennent, seulement qu'ils sont peu nombreux et extrêmement malveillants envers ceux de notre race...Le vieux reprit la parole: malgré leur apparence, ils ne sont pas humains, leur but est d'extraire les connaissances de nos esprits, d'aspirer notre savoir jusqu'à la mort. Il frissonna;  c'est une chose horrible à imaginer, et pour eux, je suis une proie de choix, leur race est mourante, ils sont à la recherche de tout ce qui peut les aider à....Il se tut, un poing lourd, venait de frapper le volet fermé de ma porte.
(à suivre...)

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