L'invité surprise (7)

Mady avait, en son temps, parcouru avec les cirques, les routes d'Europe, elle pouvait, chaque jour, raconter une nouvelle histoire, aussi drôle, triste ou attendrissante que les précédentes. Mais cette fois, c'était une première, je venais pour son don, j'avais besoin de savoir si des choses graves ou même dangereuses se tramaient autour de mes visiteurs, et qui pouvait me renseigner, sinon elle? Au regard de la police ou de je ne sais quelle entité, je n'avais rien à me reprocher, je ne me souvenais pas d'avoir assassiné quiconque, du moins pas récemment, à part une colonie de mites alimentaires installées dans un paquet de céréales mais j'étais détenteur d'un secret, tout mouvement suspect aux alentours devenait inquiétant, pour moi et mes visiteurs, je me rendais compte à présent seulement, de la portée que pouvait avoir cet événement. Pour moi, ils n'étaient que des personnes un peu étranges, sans plus, je les accueillais de la même manière que s'ils avaient été des mongols venus des steppes d'Asie ou des aborigènes d'Australie, ils parlaient ma langue maternelle aussi bien que la plupart des personnes que je connaissais et me paraissaient, malgré leur apparence un peu particulière, n'être que des étrangers venus d'un pays lointain. Je me demandai si recevoir la visite de voyageurs venant d'une autre planète était jugé répréhensible par la loi, je n'avais pas pensé, ce n'est pas ma fonction, à leur demander s'ils avaient un passeport en règle ou un permis de séjour, des êtres venus d'une autre galaxie, pouvaient-ils être considérés comme des étrangers sans papiers? et comment diable la chiourme du gouvernement, en charge de cette peu honorable mission, aurait-elle pu les expulser?
Toi, tu as besoin de savoir quelque chose, me dit-elle en ouvrant sa porte, et ça à l'air de t'inquiéter... Je ne pouvais la mettre complètement dans la confidence et, à contre-cœur, je dus un peu modifier la réalité, j'inventai une histoire de gens venus de loin, qui n'avaient pas de papiers en règle, et dans l'ensemble, c'était finalement la vérité. Ce qui m'inquiète, fis-je, ce sont les deux rigolos qui sont venus rôder autour de chez moi pour me poser des questions à la con et me raconter une histoire bateau de ferme-auberge, je n'aime pas du tout leur style, coupe militaire, habillés pratiquement pareil, comme si ça avait été un uniforme...
Mady sortit ses tarots, elle ne lisait pas dans les cartes, non, mais elle disait que ça l'aidait à se concentrer, alors elle les étala sur la table, et se mit à les tripoter, les yeux mi-clos, sans piper mot, durant un long moment. Je ne l'avais jamais vue exercer son don de voyance à la demande, quand quelqu'un se pointait chez elle dans le but de lui demander ce service, muni d'un rôti de porc ou d'un panier de légumes, je m'éclipsais discrètement, elle voyait parfois des choses que certains avaient cachées toute leur vie et elle devait être la seule réceptrice de ces lourds secrets, en plus, les histoires des autres, je m'en foutais vraiment.
Elle reposa ses yeux sur moi, l'air grave: Méfie-toi de ces hommes me dit-elle doucement, tu avais raison ils en veulent à tes amis, elle fit une courte pause, me regardant avec intensité: Tes amis qui viennent de très loin...je ne relevai pas sa réflexion, je lui demandai avec angoisse: qu'est-ce que je dois faire? Elle rangeait rapidement ses cartes: Cache-les à la cave... quelle cave? je fis stupéfait, il n'y à pas de cave chez moi! voilà qu'elle déraillait, elle avait du biberonner un peu de gin, c'était bien ma chance... Si, insista t'elle, tu en as une, mais tu ne le sais pas... Mais c'est impossible, fis-je, paniqué, elle posa sa main sur la mienne: cette cave date de la construction de cette maison, maintenant il y à du tissu devant... Du tissu? comment ça du tissu?; je ne sais pas, reprit elle, avec conviction, mais ce qui la cache contient du tissu, trouve là et tes amis ne risqueront plus rien... C'est quoi, ce merdier! pensai-je, une cave inconnue dans une vieille baraque que j'habite depuis plus de dix ans, je l'aurais trouvée depuis longtemps!, c'est trop petit, j'aurais repéré quelque chose...je ne pouvais l'emmener chez moi, si la maison était surveillée par les frères Karamazov, je la collais dans les embrouilles, je devrais me débrouiller seul.
Je rentrai chez moi, un peu déboussolé, je me disais que si les pourris qui m'espionnaient forçaient ma porte alors que Zeb et le vieux, se trouvaient là, ce serait impossible de les faire fuir et il je n'avais aucune possibilité de les prévenir. Je courus dans tous les sens, inspectant les pièces, déplaçant le lit, les quelque meubles: nom de dieu! pensai-je affolé, aucune trappe, rien du tout! Je m'assis sur une chaise, découragé, promenant mon regard autour de moi, je l'arrêtai sur l'espèce de cheminée murée qui servait d'étagère pour tout un tas de bricoles parfaitement inutiles et sans aucune valeur, que je glanais dans mes promenades, une figurine d'Homer Simpson, un lézard en caoutchouc, un hippopotame en plastique mauve, des cailloux blancs, de grosses graines bizarres ramenées de mes voyages, une boîte en forme de crapaud aux yeux bleus, achetée à Istanbul, un œuf de quartz, une turquoise Tibétaine, bref tout un fatras de choses, que je prenais plaisir à sortir de l'anonymat et du mépris, pour en faire d'incertains objets de décoration. J'avais toujours pensé que ce parallélépipède de maçonnerie d'environ un mètre vingt, qui semblait sortir du mur, était une ancienne cheminée, murée bien avant mon arrivée. D'ailleurs elle sonnait creux, preuve que... je me dressai sur mes jambes, soudain pris d'une inspiration: voyons, il y avait quoi, derrière? une étagère, une sorte d'armoire sans portes, fixée contre la paroi, ou je rangeais... mes vêtements! je courus dans la pièce voisine et je restai là à fixer le seul endroit ou pouvait se trouver ce que je cherchais. Comment remuer ce truc? il n'y avait pas de fixations apparentes, rien... je poussai de toutes mes forces, d'un côté, puis de l'autre, avec l'énergie du désespoir, surprise! ça bougeait! une légère fente était apparue sur le bord gauche, la ou le bois était au contact du mur, je tirai encore et l'étagère pivota, dévoilant cinq centimètres d'un noir nocturne qui exhalait une puissante odeur de renfermé, de choses closes depuis longtemps. En glissant ma main dans l'espace, je fis complètement apparaître ce qu'il y avait derrière, une ouverture sombre, haute de pas plus d'un mètre et un escalier qui semblait très raide, se perdant dans l'ombre, l'étagère s'était ouverte à la manière d'une porte, sans doute grâce à un pivot encastré dans le ciment, l'odeur de moisi semblait moins forte, ça avait été très bien conçu et il ne paraissait pas y avoir d'humidité, mais qui diable, me dis-je, pouvait avoir intérêt à cacher l'entrée de sa cave?
(à suivre...)

Commentaires

Articles les plus consultés